Impossibilité de la vie du Christ telle que l’ont écrite les Évangiles

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« L’âme est le principe de vie dont la souveraine sagesse s’est servie pour animer les corps. La matière est inerte et périssable, l’âme pense et agit, et elle est immortelle. De sa pensée naît la volonté, et de la volonté naît l’action. (…) L’âme est immortelle, et elle doit retourner dans la grande âme dont elle est descendue ; mais comme elle a été donnée à l’homme pure de toute souillure, elle ne peut remonter au séjour céleste qu’après s’être purifiée de toutes les fautes que son union avec la matière lui a fait commettre. » (Enseignement de Christna)

Afin de rendre la lecture plus fluide, nous insérons au début de chaque article des liens de cette série inédite d’une vingtaine d’extraits de plusieurs ouvrages sur l’origine du christianisme et ses rapports avec les anciennes religions de l’Inde, bref une comparaison de la Bible avec les anciens textes sanscrits. C’était l’oeuvre de Louis Jacolliot (1837 – 1890), magistrat français aux Indes au temps de la colonisation.

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La vie du grand philosophe chrétien, telle que les évangélistes, ses apôtres, nous l’ont transmise, n’est qu’un tissu d’inventions apocryphes destinées à frapper l’imagination des peuples et à établir solidement les bases de la religion nouvelle qu’ils fondaient.
Il faut convenir, du reste, que le terrain était merveilleusement préparé, et que ces hommes eurent peu de peine à rencontrer des adeptes qui mirent leur fortune et leur vie au service de la réforme.
De toutes parts, le paganisme râlait; Jupiter, malgré ses autels, n’avait plus de croyants; Pythagore, Aristote, Socrate et Platon l’avaient depuis longtemps rejeté de leur conscience. Cicéron disait que deux prêtres ne pouvaient se regarder sans rire ; depuis deux siècles, Pyrrhon, Cimon, Sextus Empiricus, Enésidème ne croyaient plus à rien. Lucrèce venait d’écrire son livre sur la nature, et tous les grands esprits du siècle d’Auguste, trop corrompus pour revenir aux lumières primordiales et aux principes simples, mais rigides de la raison, en étaient arrivés au scepticisme le plus complet, menant une vie de plaisir au milieu de l’oubli de Dieu et des futures destinées de l’homme.D’un autre côté, ces vieilles théologies qui s’écroulaient avaient laissé dans l’esprit de la foule l’idée d’un Rédempteur, que l’Inde ancienne avait léguée à toutes les nations.
Et le peuple, lassé, attendait quelque chose de nouveau qui vint remplacer ses croyances éteintes, et donner un aliment à son énergie paralysée par le doute et qui avait besoin d’espérance.
C’est alors qu’un pauvre Juif, quoique né dans la classe la plus infime du peuple, ne craignit point, après avoir passé quinze années de sa vie dans l’étude et la méditation, de se soulever pour tenter la régénération de cette époque de décrépitude et de matérialisme.
Chacun connaît la morale simple et pure qu’il a prêchée, et avec quelle avidité le monde ancien se transforma sous le souffle nouveau. Caractériser l’enseignement du Christ n’est point notre but; il nous importe simplement d’en rechercher l’origine et de voir par quelles études le novateur a pu se former.
Du moment que nous rejetons l’incarnation pour ne voir en lui qu’un homme, quels que soient sa grandeur et son génie, nous avons le droit de lui trouver des initiateurs, comme nous en avons trouvé à Boudha, à Zoroastre, à l’Égyptien Manès et à Moïse.
Il est incontestable, pour nous, que Jésus, jusqu’au moment où il parut sur la scène du monde, c’est-à-dire jusqu’à trente ans, se prépara par l’étude à la mission qu’il s’était donnée.
Pourquoi, en effet, rester jusqu’à trente ans sans aborder son œuvre? pourquoi, s’il eût été Dieu, demeurer dans l’inaction pendant douze ou quinze ans de sa vie d’adolescent et d’homme? pourquoi même ne pas prêcher dès l’enfance? c’eut été, sans aucun doute, un moyen assez sensible de prouver sa divinité.
On nous dit bien qu’à douze ans il soutint une thèse dans le temple qui émerveilla les docteurs juifs, mais quelle thèse? et pourquoi les évangélistes n’ont-ils pas jugé à propos de nous la faire connaître? Ce fait ne serait-il pas plutôt, avec une foule d’autres, le produit de leur imagination?
Puis, enfin, que fit-il de douze ans à trente ans? Voilà une question que je pose et dont je serais heureux de recevoir la solution.
Dans le silence des apologistes de Jésus, nous ne pouvons voir qu’un oubli intentionnel ; car il eût fallu dire la vérité et détruire ce nuage d’obscurité dont ils se sont plu à entourer cette grande figure. Et la vérité est que le Christ, pendant cette période de temps, étudia en Égypte, peut-être même dans l’Inde, les livres sacrés, réservés depuis des siècles aux initiés, et cela avec les plus intelligents de ses disciples, qu’il dut s’adjoindre dans le courant de ses pérégrinations.
Et c’est ainsi que Jésus connut les traditions primitives, et étudia l’œuvre et la morale de Christna, dont il s’est inspiré dans son enseignement et ses prédications familières. Il me semble entendre des cris de surprise et d’étonnement, même dans le camp de la libre pensée.
Raisonnons donc! c’est à vous, rationalistes, que je m’adresse, à vous seuls ; car toute discussion avec les partisans de la foi est impossible, du moment où nous ne pouvons nous entendre sur les principes.
Si vous ne croyez pas à la divinité du Christ : que trouvez-vous d’étonnant à ce que je lui cherche des devanciers, des initiateurs ? Né dans une classe inintelligente, parce qu’elle était peu cultivée, ce n’est que par l’étude qu’il a pu s’élever au-dessus de ses compatriotes et jouer le rôle important que nous connaissons. Oui, le Christ est allé en Égypte, oui, le Christ a étudié l’Orient avec ses disciples, et c’est le seul moyen d’expliquer logiquement la révolution morale qu’ils ont accomplie. Mais les preuves ne manqueront pas ; attendez-les avant de porter un jugement sur cette opinion qui n’est point, pour moi, le résultat d’une simple hypothèse, mais bien une vérité historique.
Que ce dernier mot ne surprenne point trop ; je dis vérité historique, parce que si, avec moi, vous repoussiez le révélé, le prodige et le merveilleux, il ne reste plus que des causes naturelles à étudier, et si nous avons trouvé ensemble, dans nos précédentes études, une doctrine plus ancienne, et qui soit de point en point identique à celle de Jésus et de ses apôtres, ne serons-nous pas en droit de croire que c’est à ces mêmes sources primitives que ces derniers avaient puisé?
Est-ce que tous les grands esprits de l’antiquité ne sont pas allés vivifier leur génie en Égypte ? Est-ce que cette vieille terre n’était pas le lieu de rendez-vous de tous les penseurs, de tous les philosophes, de tous les historiens, de tous les grammairiens de cette époque? Qu’allaient-ils donc y chercher? Que pouvait bien renfermer cette immense bibliothèque d’Alexandrie, dont la destruction n’est pas un des moindres titres de César au mépris des races futures.
Pourquoi plus tard les néoplatoniciens furent-ils y fonder leur école célèbre, si les anciennes traditions de ce pays n’attiraient pas, comme un foyer lumineux, les rares intelligences, tous les hommes de pensée?
Le fils de Marie et de Joseph suivit le courant : l’Égypte était à deux pas, il y fut s’instruire. Peut-être même, et j’inclinerai fort à le croire, y fut-il conduit dès sa plus tendre enfance par ses parents, ainsi, du reste, que le rapportent les évangélistes, et il a dû n’en revenir, quoi qu’on puisse prétendre, qu’après avoir conçu la pensée de venir prêcher sa doctrine aux Juifs.
Avant d’exposer plus amplement nos théories sur Jésus, il nous paraît utile de voir, le plus brièvement possible, quelle fut sa vie d’après les apôtres.

Descente du Christ dans les Limbes (Anastasis pour les grecs).

Marie, quoique femme de Joseph, étant restée vierge, conçut par l’opération du Saint- Esprit, troisième personne de la Trinité, et Jésus naquit le 25 décembre de l’an 4004 de ce monde, suivant la chronologie biblique.
Cette naissance, annoncée par les prophètes, fut signalée par différents prodiges : des bergers, ainsi que trois mages venus de l’Orient, guidés par une inspiration miraculeuse, se rendirent à Bethléem pour adorer le nouveau-né.
Hérode, roi de Jérusalem, craignant la venue du Messie qui, d’après certaines prédictions, devait le détrôner, envoya tuer dans Bethléem et tous les pays d’alentour tous les enfants âgés de deux ans et au-dessous.
Avertis par un ange, Joseph et Marie s’enfuirent en Égypte pour sauver l’enfant du massacre, et ils n’en revinrent qu’après la mort d’Hérode. A l’âge de douze ans, Jésus étonna les docteurs dans le temple par la sagesse de ses réponses.
A trente ans, après s’être fait baptiser dans les eaux du Jourdain par saint Jean-Baptiste, il commence sa mission et se met à parcourir les villes de la Judée en prêchant avec ses disciples. Pendant les trois années que durent ses pérégrinations, on lui attribue une foule de miracles.
Il changea l’eau en vin aux noces de Cana, ressuscita Lazare, le fils de la veuve de Naïm, trois jours après sa mort, redressa les boiteux, rendit la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds et chassa les démons du corps des possédés.
Accusé par les pharisiens et les prêtres juifs de soulever le peuple pour se faire élire roi, il fut arrêté et remis à Ponce Pilate, gouverneur de la Judée pour les Romains; celui-ci le renvoya à Caïphe, grand-prêtre des Juifs, qui le fit juger et condamner à mort par le sanhédrin ou conseil des anciens. Attaché sur une croix entre deux voleurs, il mourut en pardonnant à ses exécuteurs.
Trois jours après sa mort, il ressuscita, ainsi qu’il l’avait promis à ses disciples, et quarante jours après sa résurrection, il monta au ciel, après avoir recommandé à ces derniers d’aller instruire tous les peuples dans la foi nouvelle.
Tels sont, d’après les évangélistes, les principaux événements de la vie du novateur chrétien.
Le bon sens me force à déclarer que les apôtres ne furent pas de bonne foi en entourant le Christ de ce cortège de miracles et de merveilleux, contraire aux lois de la nature et de la raison, dans le but évident de fasciner la foule et de se gagner des partisans.
Ce rôle n’avait même pas le mérite de la nouveauté; combien d’autres, en effet, l’ont joué avant eux et avec un égal succès !
Quoi ! me dira-t-on, les évangélistes ne sont donc pour vous que des imposteurs ?
Ce n’est point là ma pensée. Je soutiens seulement que ces hommes, dans un but louable sans doute et pour assurer le succès de leur mission, ont eu recours, comme tous leurs devanciers, aux prodiges, aux miracles apocryphes pour se rattacher à la divinité, et qu’ils ont fait un Dieu de la douce et sublime victime des prêtres d’Israël.
Ah ! si le fait était isolé dans l’histoire de l’humanité, sans croire à deux genoux, peut-être hésiterions-nous à nier et à combattre !
Interrogeons donc le passé.
Il est constant qu’en remontant aux époques les plus reculées on trouve dans toutes les théogonies des différents peuples qui couvrent le globe cet espoir de la venue d’un Dieu sur la terre, espoir qui naquit sans doute des aspirations des nations primitives qui, à la vue de leurs imperfections, de leurs souffrances, devaient naturelle ment, dans un élan de foi et d’amour, s’adresser à l’Être suprême ou créateur de toutes choses. La légende primitive de Brahma, promettant un rédempteur à Héva, n’a été que le résultat de ces aspirations, la manifestation poétique de cette croyance à la possibilité de l’incarnation divine.
Les résultats de cette croyance générale furent nombreux. Christna paraît, se proclame le rédempteur promis, se dit issu de Dieu, et l’Inde entière le reconnaît et l’adore comme tel. Bouddha vient à son tour avec les mêmes prétentions; chassé de l’Inde par les brahmes, il s’en va prêcher sa doctrine dans le Thibet, en Tartarie, en Chine et au Japon, et ces pays le divinisent, le reçoivent comme le Messie attendu depuis des siècles.
Plus tard, Zoroastre, soulevant la Perse contre l’autorité brahmanique, se présente comme un envoyé du Seigneur, et donne au peuple ses Nosks ou livres de la loi qu’il a écrits sous la dictée de Dieu.
Manès en Égypte , Moïse en Judée continuent la tradition, s’intitulent messagers divins et prophètes, et les peuples continuent à s’agenouiller et à croire.
En dernier lieu, le Christ paraît… Sa vie est courte; à peine a-t-il eu le temps de prêcher que les Juifs le mettent à mort, mais ses disciples sont là; suivant la voie toute tracée par les incarnations précédentes, ils relèvent sa mémoire par le miracle et le prodige, et font un Dieu de cet homme juste qui, sans aucun doute, n’avait jamais eu pareille ambition de son vivant. Mais, comme nous le verrons bientôt, ils furent malhabiles, et en copiant trop l’incarnation indoue, ils vont nous permettre de retrouver la source de leurs inspirations, et c’est d’eux-mêmes que viendront les preuves les plus sérieuses de leurs précédentes études en Égypte et en Orient.
Nous dira-t-on que si les apôtres avaient créé leur Dieu, ils ne seraient pas pour la plupart morts pour leurs convictions?
En religion comme en politique, cet argument est sans valeur : rien n’est facile comme de faire un martyr d’un sectaire. La persécution a toujours pour résultat de mettre l’erreur sur le pavois au même titre que la vérité et de lui créer d’ardents défenseurs.
Vous ne croyez point que Christna soit un dieu, n’est-ce pas? que Bouddha, lui aussi, soit descendu de Vischnou? que Zoroastre ait été envoyé par Ormuzd? Expliquez-moi donc alors comment les partisans de ces hommes ont pu mourir pour la défense de leur foi, éteindre les bûchers de l’Orient par leur sang et lasser leurs bourreaux.
Dites-moi le secret de toutes les victimes faites par toutes les intolérances religieuses, les secrets de tous les dévouements aux mauvaises causes, aussi nombreux que les dévouements aux bonnes.
Dites-moi comment il se peut faire que les premiers et bien rares fidèles de Mahomet soient tombés à la Mecque pour défendre le prophète qui, cependant, s’était lâchement enfui devant la fureur populaire.
Plus près de nous encore : Voyez-vous bien cette figure énergique de Jean Huss, ce prêtre catholique brûlé par le catholicisme, parce qu’il refusait de rétracter ses prétendues erreurs.
Pourquoi ne s’est-il pas sauvé, quand d’un mot il pouvait le faire !
Et les Juifs du moyen âge mourant pour la loi de Moïse, que le même catholicisme reconnaît, tout en la proscrivant.
Et les Vaudois, et les Camisards, et les protestants de la Saint-Barthélemy.
Et les sinistres hécatombes de l’inquisition.
Dressez donc la liste de tous les martyrs morts pour une idée, alors que d’autres avaient succombé la veille pour une idée contraire.
Et dites-moi si on ne meurt point avec courage pour l’erreur comme pour la vérité.

Illus

Le Christ sur la croix

Croyez-le bien, les chefs d’une révolution n’hésitent jamais à mourir pour elle, à narguer la mort, en face surtout de la foule qu’ils ont conquise à leur opinion. Et les apôtres furent chefs de révolution !
Quand bien même ils l’eussent désiré, il leur eût été impossible d’éviter la croix, l’arène ou le bûcher; impossible de dire à tous les chrétiens qui les regardaient mourir : « Nous vous avons trompés, et nous sommes les premiers à rétracter nos croyances. »
Et du reste, en sacrifiant leur vie à leur cause, n’avaient-ils pas un mobile qui devait suffire à leur dévouement? Ils succombaient pour la morale qu’ils étaient venus fonder, ils mouraient pour la régénération de l’humanité, et c’est en cela qu’ils furent des croyants, mais en cela seulement.
Puisque l’on affronte les tortures et les bûchers pour toutes les idées, puisque toutes les croyances, toutes les religions ont eu leurs martyrs, n’ai-je pas le droit de soutenir que la mort des apôtres, victimes de leurs tentatives religieuses, ne prouve rien pour la divinité de Jésus?
Cette divinité était nécessaire à leur œuvre; le passé tout entier était là pour leur enseigner qu’on ne réussissait point sans cela, qu’on ne pouvait séduire les peuples sans l’apparat et le merveilleux. Après la mort du Christ, ne s’attribuèrent-ils point à eux-mêmes le pouvoir de faire des miracles? A qui fera-t-on croire que Pierre continua à ressusciter les morts, à guérir les estropiés, à chasser les démons?
Un exemple entre tous :
« Simon le Magicien, qui opérait lui-même des prodiges, s’étant fait baptiser par le diacre Philippe, demanda à saint Pierre de lui accorder le pouvoir de faire des miracles semblables aux siens; ayant été pour cela maudit par le chef des apôtres, il se sépara de la communion des fidèles et se mit à prêcher pour son compte, en se disant lui aussi le Fils de Dieu.
« Ayant provoqué saint Pierre en présence de l’empereur Néron, grâce à son pouvoir magique il s’éleva à une grande hauteur dans les airs, en présence d’une grande affluence de peuple.
« Mais saint Pierre ayant fait une prière à Dieu, Simon le Magicien tomba au milieu de la place publique et se rompit les jambes. »
De pareilles absurdités ont-elles besoin d’être discutées?
Et un homme de bon sens oserait-il franchement croire à ces fables ridicules ?
D’où vient ce pouvoir magique de Simon ? Du diable, nous dira-t-on.
Pauvre diable ! quelle piteuse figure on te fait faire ; pendant des siècles tu oses te hasarder sur la terre, t’installer dans le corps des gens, faire des miracles, lutter avec Dieu Puis tout d’un coup tu t’enfuis honteusement devant l’institution de la police et de la gendarmerie. Et tu n’es plus aujourd’hui qu’une figure de rhétorique à l’usage de Veuillot et de Dupanloup.
Il y a bien encore quelques thaumaturges, quelques sorciers par-ci par-là, mais ils n’osent plus travailler en grand, la sixième chambre sait trop bien les exorciser.
Laissons tous ces miracles, tous ces sortilèges, qui ne peuvent se produire qu’aux époques obscures de l’humanité, quand les peuples, abrutis sous le joug ou énervés par le despotisme, cherchent des directeurs ailleurs que dans leur conscience et dans les lumières immortelles que Dieu a déposées en nous. La civilisation, le progrès par la liberté, font bonne justice de toutes ces choses, qui ne peuvent supporter le grand jour, l’examen et la discussion.
Nous allons voir comment les apôtres de Jésus, brisant avec le judaïsme et s’inspirant des primitives traditions des livres sacrés de l’Orient, imprimèrent à leur nouvelle Église le cachet pur et simple de l’antique société indoue, de la société christnéenne.
L’antiquité tout entière avait puisé à cette grande source, dédaignant la splendeur du védisme, à qui elle avait à peine emprunté quelques grandes traditions; elle avait préféré copier le brahmanisme despotique et sacerdotal.
Les apôtres, et c’est là leur plus grand mérite à mes yeux, surent au contraire remonter aux Védas et à Christna, et s’ils ne rejetèrent point le merveilleux de cette époque, parce que le monde n’était point encore préparé à une régénération complète par la liberté de la pensée, du moins surent-ils se faire excuser par la pure et sublime doctrine qu’ils retrouvèrent dans les livres sacrés des temps passés, et qu’ils eurent le courage de prêcher sans nul souci de leur fortune et de leur vie.
Voilà la vérité sur ces hommes, dont on ne saurait trop admirer l’intrépidité et le dévouement, tout en regrettant qu’ils n’aient pas osé fouler aux pieds les vaines superstitions de leurs devanciers.
Voilà le sillon qu’il faut creuser. Peut-être ne ferai-je point la lumière aussi claire qu’elle m’apparaît. A d’autres la continuation de l’œuvre. Faites du sanscrit une langue classique, établissez une école supérieure dans l’Inde, envoyez-y des hommes d’élite qui révéleront au monde les milliers de manuscrits que cet antique pays nous a légués…
Et vous verrez si l’avenir ne me donnera point raison.
Répétons-le jusqu’à satiété, si le monde ancien fut notre foyer générateur, à nous nations modernes, l’Inde ancienne fut l’initiatrice de tous les peuples, de toutes les civilisations de l’antiquité.

Devanaguy & Marie – Christna & Le Christ

Le fils de Devanaguy, le rédempteur indou, se nomme Christna! et plus tard ses disciples lui décernent le titre de lezeus!
Le fils de Marie, le rédempteur chrétien, se nomme Jésus, ou plutôt Jeosuah, et plus tard ses disciples lui décernent le titre de Christ.
Les deux mères des rédempteurs conçoivent par l’opération divine et restent vierges malgré leur maternité. De quel côté vient l’influence? A qui peut être adressé le reproche d’imitation? Poser la question, c’est la résoudre.
Devanaguy et Christna sont antérieurs de trois mille ans au moins à Marie et au Christ; la vieille civilisation de l’Inde est née de cette incarnation; tous les livres sacrés, tous les ouvrages de morale, de philosophie, d’histoire et de poésie ont tenu à honneur de s’appuyer sur elle. Supprimer Christna, ce serait supprimer l’Inde ancienne.
Marie et le Christ ne sont parvenus jusqu’à nous que par les récits légendaires des évangélistes, et bien que les faits prêtés à l’incarnation chrétienne aient été de nature à exciter au plus haut degré l’intérêt et la curiosité du siècle dans lequel ils se seraient passés, bien que cette époque soit relativement assez rapprochée de nous, l’histoire et la tradition sont complètement muettes sur leur compte; rien, absolument rien, ne vient nous les révéler. Ni Suétone, ni Tacite, ni aucun des historiens latins ou grecs de ces temps ne firent mention des aventures extraordinaires prêtées à Jésus, et cependant, il faut l’avouer, il y avait là de quoi fortement tenter la plume de ces écrivains.
Comment expliquer cet unanime silence ?
Nous l’avons dit, c’est que toutes ces aventures sont apocryphes, c’est que Jésus passa presque isolé dans ce monde ancien qui fit peu attention à lui, et que c’est plus tard seulement que ses disciples en firent un héros légendaire, en se servant des prophéties hébraïques inspirées par l’Orient, en empruntant à Christna sa morale et quelques-unes des particularités de sa vie parmi les moins surnaturelles et les plus probables.

La Vierge Marie

La tradition de la vierge-mère émanée de l’Inde est vulgaire dans tout l’extrême Orient, en Birmanie, en Chine et au Japon ; les apôtres n’ont fait que la recueillir et l’adapter à leur doctrine.
Il est un fait qui m’a toujours énormément frappé. A la suite de tous les livres sacrés des temps primitifs de l’Orient et de l’Égypte, la vieille tradition du Messie avait passé dans la loi hébraïque. Comment se fait-il, si les faits les plus importants de la vie de Jésus, si ses miracles ne sont pas le résultat d’une invention postérieure, que les Juifs aient refusé de reconnaître ce rédempteur qu’ils attendaient si impatiemment, et qu’ils attendent encore aujourd’hui?
Ils étaient aveuglés par le démon, diront certaines gens. Eh ! laissez donc là ce vieil argument, destiné à voiler la faiblesse de vos prétentions, et raisonnez, ne fût-ce qu’un instant, si cela vous est possible.
Pensez-vous sérieusement que les Juifs n’eussent pas acclamé Jésus, s’il eût réellement fait devant eux tous les miracles que lui prêtent les évangélistes ?
Je suis persuadé pour ma part que ces prodiges n’eussent rencontré que fort peu d’incrédules, et que Jésus ne fût point mort sur la croix comme un tribun vulgaire, cherchant à soulever le peuple contre les autorités établies, car c’est ainsi que le considèrent les prêtres d’Israël.
Nous ne sommes plus à cette époque où le merveilleux semblait appartenir à l’ordre naturel, où la foule s’agenouillait sans comprendre. Eh bien ! qu’un homme se lève parmi nous, que pendant trois ans de sa vie il accumule miracle sur miracle, change l’eau en vin, nourrisse dix, quinze, vingt mille personnes avec cinq poissons et deux ou trois pains, ressuscite les morts, rende l’ouïe aux sourds, la vue aux aveugles, etc., et vous verrez si pharisiens ou prêtres auront le pouvoir de le condamner comme infâme.
Mais il faudrait pour cela que le mort fût bien mort; il sentirait même un peu mauvais, comme Lazare, que cela ne gâterait rien; que l’eau changée en vin fût bien de l’eau ; que les aveugles et les sourds ne fussent point des complaisants; qu’enfin les sciences naturelles ou physiques n’eussent rien de commun avec la chose.
Si les Juifs n’ont pas reconnu Jésus, c’est que le sublime prédicateur se contenta sans doute d’exposer sa morale et de lui donner l’appui de ses exemples, de ses moeurs pures, qui durent faire tache au milieu de la corruption générale et soulever contre lui tous ceux qui dominaient et vivaient par cette corruption.
Avertis par sa mort, ses apôtres changèrent de tactique, comprenant qu’il fallait frapper la foule par des choses surnaturelles ; ils rajeunirent l’incarnation de Christna, et, grâce à cela, purent continuer avec succès l’oeuvre à la quelle le maître avait succombé.
De là, la conception de la vierge Marie et la divinité du Christ.
Je ne prétends faire aucun rapprochement entre ces noms de Jésus ou Jeosuah et de Iezeus, que les rédempteurs indou et chrétien portèrent tous deux.
Ainsi que nous l’avons vu, ces noms de Jésus, Jeosuah, Josias, Josué et Jéovah proviennent tous des deux mots sanscrits Zeus et Iezeu, qui signifient l’un l’Être suprême, et l’autre la Divine essence. Ces noms du reste furent communs non seulement chez les Juifs, mais dans l’Orient tout entier.
Il n’en est pas de même des noms de Christ et de Christna ; là nous trouvons évidemment l’imitation, la copie, l’emprunt fait par les apôtres à l’incarnation indoue. Le fils de Marie, en naissant, ne reçut que le nom de Jésus, et ce n’est qu’après sa mort qu’il fut appelé le Christ par les premiers fidèles.
Ce mot n’est pas hébreu; d’où vient-il donc, si les apôtres ne se sont pas emparés du nom du fils de Devanaguy ?
En sanscrit, Kristna ou mieux Christna signifie envoyé de Dieu, promis par Dieu, sacré. Nous écrivons Christna plutôt que Kristna, parce que le « kh » aspiré du sanscrit est philologiquement mieux rendu par notre « ch », qui est lui aussi une aspiration, que par notre « k » simple. Nous sommes donc guidés en cela par une règle grammaticale, et non par l’envie de faire des rapprochements.
Si ce nom sanscrit de Christna convient admirablement à l’incarnation indoue, il n’en saurait être de même pour l’incarnation chrétienne, à moins qu’on n’admette la copie du nom, comme on a copié la morale et les actes.
Fera-t-on venir ce nom de Christ du mot grec χριστος; (Christos) ? Outre que la plupart des mots grecs sont du sanscrit presque pur, ce qui explique la ressemblance, il reste encore à donner les motifs du choix de ce surnom grec à Jésus, qui, Juif de naissance, passa sa vie militante en Judée et mourut au milieu de ses compatriotes. Un surnom hébreu eût été seul compréhensible et logique. La seule vérité admissible est que ce nom de Christ fait partie du système complet adopté par les apôtres, et qui se résume ainsi : constitution de la société nouvelle sur le modèle de la primitive religion brahmanique.

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Extraits de La Bible dans l’Inde. Vie de Iezeus Christna de Louis Jacolliot, A. Lacroix, Verboeckhoven & Cie. Éditeurs, Paris, pp. 346-361.

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Illustrations :

– Descente du Christ dans les Limbes( Anastasis pour les grecs). Cathédrale Santa Maria Assunta, fondée en 639, île de Tortcello, golfe de Venise. La mosaïque, dite du Jugement Dernier, XIème-XIIème siècle.
http://www.1oeuvre-1histoire.com/
– Le Christ sur la croix. http://fr.tubgit.com/
– La Vierge. Cathédrale Santa Maria Assunta, île de Tortcello, golfe de Venise.
http://www.venise-tourisme.com/

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