« Le lion vert dans son cœur caché
Sortira de la pierre tachée
Et la lune maintenant libérée
Laissera voir l’ultime vérité. » Patrick Burensteinas, La pierre des sages
Maintenant que vous me connaissez plus particulièrement par l’exposé véridique et très succinct que je viens de faire, j’ose espérer que vous daignerez vous intéresser à mes travaux et que vous me faciliterez les moyens d’arriver promptement au but pour lequel je travaille depuis 46 ans, à travers les vicissitudes de mon existence sans avoir perdu un seul instant courage, persuadé que je suis dans la route du vrai et que la réussite est près. S’il m’était donné un instant de stabilité dans mes recherches, le succès ne se ferait pas attendre et je pourrais rembourser au centuple les capitaux dont j’ai aujourd’hui besoin et ceux que j’ai déjà mis; il n’y a là rien d’exagéré.
Si on se rapporte au fait de ma découverte où tout l’argent et le cuivre ont été transformés en or pur, que de grandes choses ne pourrait-on pas réaliser au profit de notre nation.Dernièrement un membre de la Chambre des Députés, ingénieur très distingué, m’a demandé que je lui établisse le prix de revient de l’or artificiel, le prix des appareils et accessoires nécessaires à mes expériences, et enfin la somme dont j’ai besoin; voici la réponse que je lui ai faite le 5 Février dernier.
« Ce que je désire avant tout c’est qu’on constate le fait de l’or artificiel que je vous ai présenté, c’est pour moi le point essentiel. Je ne suis ni un sauteur, ni un faiseur de dupes, je ne veux pas que ma bonne foi soit mise en doute et qu’on puisse dire que j’ai cherché à tromper mon pays. Il faut donc se convaincre par expériences du fait que j’avance, et si ce que je vous ai présenté n’est pas de l’or artificiel, il est inutile de poursuivre mes recherches.
« Ce fait constaté il sera facile de nous entendre pour la continuation de mes expériences dans de bonnes conditions, dans un laboratoire où j’aurai à ma disposition tous les appareils et la matière première qui me seront utiles.
« Le résultat que j’ai obtenu au Mexique et que je vous soumets aujourd’hui appuyé des quelques essais que j’ai faits ici, rendent ma conviction inébranlable: on peut transformer les métaux en or, et cette transformation peut devenir à l’état pratique. Il s’agit de produire vite et artificiellement, le travail qui s’opère naturellement à la suite des siècles et dont les causes principales doivent être : température, état électrique, influence solaire, acides à divers degrés de concentration et autres détails inédits que je puis fournir [1].
« J’estime que pour arriver à un résultat satisfaisant, il me faut pouvoir disposer d’une somme variant de cinquante à cent mille francs, suivant la plus ou moins prompte réussite de mes expériences.
« Cette transformation des métaux en or, sera un fait accompli dans un temps prochain et les conséquences en seront incalculables au profit du pays à qui en reviendra l’honneur, ainsi qu’on peut s’en rendre à peu près compte en comparant la valeur d’un bloc de cuivre en argent, à celle d’un lingot d’or provenant de la transformation du premier sans déchet.
« Aussi cette découverte est-elle l’objet d’un travail occulte et incessant de la part des savants et chercheurs de différentes nations.
« Depuis le publication de ma découverte, les progrès incessants des sciences physiques et chimiques, sont arrivés à un tel degré de précision et d’investigation qu’il n’a plus de doute que les métaux sont des corps composés et que, par conséquent on est en droit de les produire ou transformer et mes dernières expériences me donnent la certitude que je suis sur le point d’atteindre mon but.
« La production de l’or artificiel est en elle-même un fait moins incroyable que la belle découverte de Daguerre et Niepce, et de nos jours le Téléphone et bien d’autres.
« Étant admis que la production de l’or artificiel sera un fait accompli dans un avenir prochain et que cette découverte aura des conséquences incalculables, que la France fasse donc un léger sacrifice, pour ne pas laisser nos voisins la devancer et je me mets entièrement à sa disposition. »
Bien que nous soyons dans un siècle de lumière, que les sciences aient fait des progrès considérables, il est cependant certains préjugés qui ne laissent pas de nous dominer, et au nombre de ces préjugés est celui qui fait considérer comme une utopie la production de l’or artificiel. Nos savants, soit sous l’influence de ce préjugé, soit à cause des bouleversements que produira ma découverte et dans les théories scientifiques, admises aujourd’hui, n’osent pas aborder l’examen des résultats que j’ai obtenus et quand je me suis adressé à eux, j’ai été écarté par des fins de non recevoir.
Nous ne sommes cependant plus au temps de Galilée, j’ai obtenu un résultat certain qui, pour moi, est incontestable, il est permis de l’examiner sérieusement et de se rendre compte de sa valeur exacte.
Le production de l’or artificiel, si elle existe réellement, ce dont je ne doute plus, a une trop grande importance pour que nous laissions à d’autres le soin de nous en faire connaître les avantages, après toutefois en avoir fait leur profit à notre détriment.
Soyez persuadés, Messieurs, que je ne suis pas seul à étudier cette transformation. Les communications que j’ai faites à l’Académie des Sciences, en 1852 et 1853, ont suscité chez un grand nombre de chercheurs des différents pays, l’idée d’atteindre le but que je me propose d‘atteindre, et ils poursuivent leurs travaux dans le silence de leurs laboratoires ; ne nous laissons donc pas devancer. Pour moi j’ai toujours persisté dans mes recherches je me suis mis au travail avec patience sans me préoccuper de l’avenir et sans penser à notre destinée éphémère, ne voyant que le but et cherchant à l’atteindre.
Mais je suis arrivé à un âge qui me permet de craindre de ne pas arriver seul et assez tôt; c’est pourquoi je demande qu’on me vienne en aide.
Je vais vous répéter ce que je disais l’année dernière au Conservatoire des Art et Métiers, lors de l’Exposition des produits de la société chimique de Paris, à plusieurs personnes compétentes à qui je montrais mon or artificiel et qui, d’après les propriétés que je leur ai indiquées, ont reconnu que ça ne pouvait en effet être que de l’or: « Jusqu’ici, qu’est-ce que cette découverte a coûté à mon pays ? absolument rien. Puisque tous les sacrifices ont été faits jusqu’ici par moi seul. Qu’on me vienne donc maintenant en aide pour me permettre d’atteindre mon but. Je ne suis qu’un simple ouvrier, je ne suis ni un aventurier, ni un homme sans patrie ni lieu ; partout où j’ai passé je puis y retourner la tête haute. J’aime avant tout mon pays et je poursuivrai dans son intérêt, aussi loin qu’il me sera possible, mes travaux et mes démarches jusqu’à ce qu’une porte me soit ouverte, suivant en cela ce précepte de l’Évangile: frappez et on vous ouvrira. »
J’ai un fait incontestable qui vaut plus que toutes les paroles qu’on peut dire, et si je ne voyais pas dans ce fait un intérêt considérable pour mon pays, mon intérêt personnel étant tout à fait secondaire, je ne vous en aurais pas plus entretenu que de mes autres inventions.
J’espère, Messieurs, que, comme moi, vous comprendrez l’importance de ma découverte et les avantages que pourra en retirer le pays à qui en reviendra l’honneur, et que vous vous efforcerez de m’aider à atteindre mon but et d’arriver à faire figurer dignement cet or à l’Exposition du centenaire de la République.
Je vous prie, Messieurs, de vouloir bien agréer l’assurance de ma haute considération.
T. TIFFEREAU
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Grenelle le 16 janvier 1888.
Messieurs les Sénateurs,
Depuis longtemps la production de l’or artificiel préoccupe un certain nombre de chercheurs modestes, et de nombreuses expériences ont été faites à ce sujet. Je suis au nombre de ces chercheurs.
Après plusieurs années de travail, je suis arrivé au résultat demandé, en très petite quantité, il est vrai, mais j’ai un résultat indiscutable que je tiens à la disposition de nos savants compétents qui voudront bien en faire l’analyse. Une série d’expériences, faites depuis que j’ai obtenu mes quelques grammes d’or artificiel me permet de croire qu’on peut opérer sur une grande quantité. Le 3 Mars 1885 je faisais part de ma découverte à M. BERTHELOT par la lettre que vous trouverez jointe.
J’ai brigué longtemps l’honneur d’arriver seul à une production pratique et non sur de simples expériences de laboratoire. Mes essais continuels ne laissent aucun doute sur les résultats à obtenir. Mais mes moyens insuffisants ne me permettent pas de réaliser assez vite des progrès très sensibles et mon âge me laisse craindre que, marchant trop lentement, je sois obligé d’abandonner mon œuvre avant d’avoir atteint mon but. Ce serait perdre le travail d’un demi siècle au moment où il est prêt d’aboutir.
C’est pour quoi je me fais aujourd’hui un suprême devoir de m’adresser à vous, Messieurs les Représentants de mon pays, pour vous demander à ce qu’il soit fait droit à ma juste demande et qu’on me procure tout au moins les moyens de poursuivre mes expériences avec le concours d’hommes compétents délégués par le gouvernement et qui pourront, au besoin, poursuivre mon œuvre si les forces me manquent pour la conduite à bonne fin.
Le résultat, j’en suis certain, ne se fera pas attendre, et j’ai tout lieu de croire que, mon pays me venant en aide, le produit nouveau sera une de nos gloires à l’Exposition du Centenaire de la République.
Un mot seulement, Messieurs, sur la démonétisation de notre monnaie de billon. Puisque qu’on a attendu si longtemps cette monnaie séculaire, qui a du bon et du mauvais, pourquoi n’attendrions nous pas encore un peu avant de dépenser des millions pour faire une transformation qui serait à recommencer après ma découverte.
J’espère, Messieurs, que vous voudrez bien prendre en considération de ma juste demande et la faire agréer par le gouvernement. Ce serait procurer à notre pays beaucoup d’honneur et une grande fortune et pour moi une grande satisfaction.
Daignez agréer, Messieurs, l’assurance de ma haute considération.
C. T. TIFFEREAU
130 rue du Théâtre, Grenelle-Paris.
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Grenelle, le 3 mars 1885
À Monsieur BERTHELOT (de l’Institut).
Monsieur,
Excusez-moi de la Liberté que je prends d’user de vos instants, mais venant de lire dans la revue Scientifique du 28 février votre philosophie des Sciences (Théories Alchimiques et Théories Modernes), je ne puis résister au désir de vous adresser quelques lignes. Nous ne sommes plus au temps de Galilée, nous pouvons parler, j’en use pour vous affirmer de nouveau, avec une conviction inébranlable, que l’or que j’ai présenté à l’Académie des Sciences 17 Octobre 1853 est de l’or artificiel, ainsi que je puis le prouver.
Une année plus tard, en 1854, je faisais des expériences à la Monnaie en présence de M. Levol. Éconduit par ces Messieurs il ne me restait que la conviction du fait que j’avais obtenu mais aucun appui pour continuer mes recherches. C’est avec amertume que je renfermais cet or avec mes espérances, sans savoir quand je pourrais reprendre ces travaux, ma position ne me permettant pas de disposer de mon temps.
Après 31 ans d’un travail incessant je suis arrivé à me faire une position indépendante. Je vais donc consacrer les quelques forces qui me restent pour poursuivre mon œuvre, le courage me soutiendra.
Cependant un point noir me revient souvent à l’esprit depuis que j’ai publié ma découverte, c’est la crainte que nos ennemis arrivent à en profiter avant nous et en aient le fruit sans l’avoir mérité. Ce serait pour moi une affreuse déception.
Il a fallu votre écrit sur les Alchimistes pour me faire parler et c’est une grande satisfaction pour moi de vous avoir fait part de mes idées.
Si vous désirez, Monsieur, voir l’or artificiel que j’ai obtenu je suis à votre disposition et je serai très heureux de vous le soumettre.
En attendant, Monsieur, veuillez agréer les hommages de votre tout dévoué serviteur.
C. T. TIFFEREAU
T. Tiffereau, Les métaux sont des corps simples. Lettres aux députés et sénateurs, Paris, Imprimerie A. Quelquejeu, 1888, pp. 20-25, & suivantes
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Illustrations :
Alchimiste
Symboles alchimiques
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Notes :
[1]. L’or provient de le transformation des métaux dans des conditions déterminées comme la houille provient des végétaux, principe admis par les mineurs Mexicains et qu’ils consacrent par leurs expressions : « Quija de oro, — Ceci est bien et mûr, ceci est mauvais et n’est pas encore passé à l’état d’or », dont j’ai déjà parlé dans mon voyage au Mexique.
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