« Souviens-toi, mon fils, disaient les brahmes indous au néophyte, qu’il n’y a qu’un seul Dieu, maître souverain et principe de toutes choses, et que tout brahme doit l’adorer en secret. Mais sache aussi que c’est un mystère qui ne doit jamais être révélé au stupide vulgaire. Si tu le faisais, il t’arriverait de grands malheurs. »
Ce n’est pas dans les ouvrages religieux de l’antiquité, tels que les Védas, le Zend-Avesta, la Bible, qu’il faut aller chercher l’expression exacte des croyances élevées de leur époque. Écrits pour être lus, ou plutôt chantés dans les temples, aux jours de grandes fêtes, ces Livres de la loi, conçus dans un but de domination sacerdotale, n’avaient point mission de livrer au vulgaire, le secret des sciences, dont les prêtres et les initiés occupaient leurs loisirs.
« Souviens-toi, mon fils, disaient les brahmes indous au néophyte, qu’il n’y a qu’un seul Dieu, maître souverain et principe de toutes choses, et que tout brahme doit l’adorer en secret. Mais sache aussi que c’est un mystère qui ne doit jamais être révélé au stupide vulgaire. Si tu le faisais, il t’arriverait de grands malheurs. »
La même prohibition se montre à chaque pas dans Manou.
« La Sainte Syllabe primitive, composée de trois lettres A – U – M, dans laquelle la Trinité védique est comprise, doit être gardée secrète... »
(Manou, liv. XI, sloca 205.)
Ces trois lettres symbolisaient tous les secrets de l’initiation aux sciences occultes.L’Honover ou germe primordial que le Zend-Avesta définit ainsi :
« Le pur, le saint, le prompt Honover, je vous le dis clairement, ô sage Zoroastre ! existait avant le ciel, avant l’eau, avant la terre, avant les troupeaux, avant les arbres, avant le feu fils d’Ormuzd, avant l’homme pur, avant les Deous, avant tout le monde, il existait avant tous les biens...» ne devait-il pas être également expliqué dans son essence, qu’aux Mages seuls?
Le vulgaire ne pouvait même pas connaître l’existence de ce nom vénéré, sous peine d’être frappé de mort ou de folie. La même défense était faite aux Kabalistes anciens, dans ce passage de la Mischna :
« Il est défendu d’expliquer à deux personnes l’histoire de la création; même à une seule l’histoire de la Mercaba — ou histoire du char qui traitait des attributs de l’Être irrévélé ; — si cependant c’est un homme sage ou intelligent par lui-même, il est permis de lui en confier le sommaire des chapitres. »
Nous empruntons à l’éminent hébraïsant A. Franck, de l’Institut, l’explication de ce curieux passage de la Kabale hébraïque.
On va voir s’affirmer cette opinion que nous venons d’émettre, que l’expression exacte des croyances, des castes sacerdotales et des initiés ne se rencontrait pas dans les ouvrages dont la lecture était permise à la foule.
« Évidemment il ne peut être ici question du texte de la Genèse, ni de celui d’Ézéchiel, où le prophète raconte la vision qu’il eut sur les bords du fleuve Chébar.
L’Écriture tout entière était, pour ainsi dire, dans la bouche de tout le monde; de temps immémorial, les observateurs les plus scrupuleux de toutes les traditions, se font un devoir de la parcourir dans leur temple, au moins une fois dans une année. Moïse lui-même ne cesse de recommander l’étude de la loi, par laquelle on entend universellement le Pentateuque.
Esdras, après le retour de la captivité de Babylone, la lut à haute voix devant tout le peuple assemblé. Il est également impossible que les paraboles que nous venons de citer, expriment la défense de donner au récit de la création, et à la vision d’Ézéchiel, une explication quelconque, de chercher à les comprendre soi même, et de les faire comprendre aux autres. Il s’agit d’une interprétation ou plutôt d’une doctrine connue, mais enseignée avec mystère; d’une science non moins arrêtée dans sa forme que dans ses principes, puisqu’on sait comment elle se divise, puisqu’on nous la montre partagée en plusieurs chapitres dont chacun est précédé d’un sommaire. Or il faut remarquer que la vision d’Ézéchiel ne nous offre rien de semblable; elle remplit non plus plusieurs chapitres, mais un seul, précisément celui qui vient le premier dans les œuvres attribuées à ce prophète.
Nous voyons de plus que cette doctrine secrète comprenait deux parties à laquelle on n’accorde pas la même importance : car l’une peut être enseignée à deux personnes, l’autre ne peut jamais être divulguée tout entière, même à une seule, quand elle devrait satisfaire aux sévères conditions qu’on impose.
Si nous en croyons Maïmonides, qui, étranger à la Kabale, n’en pouvait cependant pas nier l’existence, la première moitié, celle qui a pour titre : Histoire de la Genèse ou de la Création enseignait la science de la nature. La seconde, qu’on appelle Mercaba ou Histoire du char, renfermait un traité de théologie. Cette opinion a été adoptée par tous les kabalistes .
Voici un autre passage où le même fait nous apparaît d’une manière non moins évidente : « Rabbi Jochanan dit un jour à Rabi Éliézer : Viens que je t’enseigne la Mercaba. Alors ce dernier répondit : Je ne suis pas assez vieux pour cela. Quant il fut devenu vieux, Rabi Jochanan mourut, et quelque temps après Rabi Assi étant venu lui dire à son tour : Viens que je t’enseigne la Mercaba, il répliqua : Si je m’en étais cru digne, je l’aurais déjà apprise de Rabi Jochanan ton maître. »On voit par ces mots que pour être initié à celte science mystérieuse de la Mercaba, il ne suffisait pas de se distinguer par l’intelligence et une éminente position, il fallait encore avoir atteint un âge assez avancé, et même lorsqu’on remplissait celte condition, également observée par les kabalistes modernes [1], on ne se croyait pas toujours assez sûr ou de son intelligence ou de sa force morale pour accepter le poids de ces secrets redoutés, qui n’étaient pas absolument sans péril pour la foi positive, pour l’observance matérielle de la loi religieuse.
En voici un curieux exemple rapporté par le Thalmud lui-même dans un langage allégorique dont il nous donne ensuite l’explication.
« D’après ce que nos maîtres nous ont enseigné, il y en a quatre qui sont entrés dans le jardin de délices, et voici leurs noms : Ben Asaï, Ben Zoma, Acher et Rabi Akiba.
Ben Asaï regarda d’un œil curieux et perdit la vie. On peut lui appliquer ce verset de l’Écriture: C’est une chose précieuse devant les yeux du Seigneur que la mort de ses saints.
Ben Zoma regarda aussi, mais il perdit la raison, et son sort justifie cette parabole du sage: Avez-vous trouvé du miel ? mangez-en ce qui vous suffit, de peur qu’en ayant pris avec excès vous ne le rejetiez.
Acher fit des ravages dans les plantations.
Enfin Akiba était entré en paix et sortit en paix, car le saint dont le nom soit béni avait dit : Qu’on épargne ce vieillard, il est digne de servir avec gloire. »
«Il n’est guère possible de prendre ce texte à la lettre, et de supposer qu’il s’agit ici d’une vision matérielle des splendeurs d’une autre vie; car d’abord il est sans exemple que le Tahmud, en parlant du Paradis, emploie le terme tout à fait mystique dont il fait usage dans ces lignes; ensuite comment admettre qu’après avoir contemplé de son vivant les puissances qui attendent dans le ciel les élus, on en perde la foi ou la raison, comme il arrive à deux personnages de cette légende.
Il faut donc reconnaître avec les autorités les plus respectées de la Synagogue, que le jardin de délices, où sont entrés les quatre docteurs n’est autre chose que cette science mystérieuse dont nous avons parlé, science terrible pour les faibles intelligences, puisqu’elle peut les conduire à la folie… »
Ce n’est pas sans motifs que nous n’avons rien voulu retrancher de cette longue citation; en outre qu’elle soutient notre proposition avec une incontestable autorité, elle nous permet de faire un rapprochement bien extraordinaire entre les doctrines des anciens kabalistes hébraïques et celles des Indous sectateurs des Pitris — esprits. — Ces derniers en effet, ainsi que nous le verrons bientôt, n’admettaient à l’initiation, dans les temps anciens, que des vieillards, et leur livre de science, l’Agrouchada-Parikchai, comme les livres des premiers kabalistes, le récit de la création, la Mercaba, et en dernier lieu le Zohar, est divisé en trois parties, traitant :
1° Des attributs de Dieu;
2° Du monde ;
3° De l’âme humaine.
Dans une 4e partie, l’Agrouchada-Parikchai expose les relations entre elles des âmes universelles, indique les modes d’évocation à employer pour obtenir que les pitris consentent à se manifester aux hommes, et à leur enseigner les vérités immortelles, selon le degré plus ou moins élevé de perfection que chacun de ces esprits a conquis par ses bonnes œuvres.
Le jardin des délices
Les ouvrages de kabale hébraïque, et notamment le Zohar, ne contiennent pas cette quatrième partie, non que les kabalistes n’aient pas admis ces relations des âmes, désincarnées, avec les âmes qui n’ont pas encore dépouillé leurs enveloppes mortelles, l’âme de Samuel évoquée devant Saûl par la pythonisse d’Endor et les nombreuses apparitions bibliques sont là pour prouver la croyance par le fait. Mais ils en faisaient l’objet de l’initiation du second degré, et ces terribles secrets devaient s’enseigner de vive voix seulement dans les asiles mystérieux des temples.
Ce n’est pas l’étude de Dieu et du monde qui pouvait conduire à la folie les faibles intelligences dont parle le passage du Talmud que nous venons de citer, mais bien les pratiques kabbalistiques d’évocation de l’initiation suprême.
« Quiconque, dit le Talmud, a été instruit de ce secret et le garde avec vigilance dans un cœur pur, peut compter sur l’amour de Dieu et sur la faveur des hommes ; son nom inspire le respect, sa science ne craint pas l’oubli, et il se trouve l’héritier de deux mondes, celui où nous vivons maintenant et le monde à venir. »
Comment pouvait-on connaître les secrets du monde à venir, si l’on ne recevait pas les communications de ceux qui l’habitaient déjà.
Nous verrons que le Zohar des kabalistes, et l’Agrouchada-Parikchai des Indous professent les mêmes idées sur le germe primordial Dieu, le monde et l’âme. Nous inclinons donc à croire que nous sommes bien dans le vrai, lorsque nous pensons que l’enseignement des pratiques, que ne craint pas de dévoiler l’ouvrage indou, se donnait pour ainsi dire à l’oreille chez les anciens Thanaïms du judaïsme.
Il y a du reste des pagodes dans l’Inde, où cette quatrième partie de l’Agrouchada est séparée des trois autres, et forme pour ainsi dire un livre à part, ce qui prêterait à supposer qu’elle n’était révélée qu’en dernier lieu, et à un petit nombre d’adeptes seulement.
Ajoutons que kabalistes en Judée, et sectateurs des Pitris dans l’Inde se servaient de la même expression pour désigner un adepte des sciences occultes :
Il est entré au jardin de délices!
Aucun ouvrage de doctrine ne nous est parvenu des Égyptiens et des anciens Chaldéens sur ces matières, mais les fragments d’inscriptions que nous possédons prouvent qu’une initiation supérieure exista également chez ces deux peuples.
Le grand nom, le nom mystérieux, le nom suprême, qui n’était connu que d’Ea, ne devait jamais être prononcé.
Ainsi, il est hors de doute que l’initiation, dans l’antiquité, ne fut pas la connaissance des grands ouvrages religieux de l’époque, Védas, Zend-Avesta, Bible, etc., que tout le monde étudiait, mais bien l’accession d’un petit nombre de prêtres et de savants à une science occulte qui avait sa genèse, sa théologie, sa philosophie et ses pratiques particulières, dont la révélation était interdite au vulgaire.
L’Inde a conservé toutes les richesses manuscrites de sa civilisation primitive, ses initiés n’ont abandonné aucune des croyances et des pratiques anciennes.
Nous allons donc pouvoir soulever complètement le voile de l’initiation brahmanique. Puis après avoir comparé les doctrines philosophiques des adeptes des Pitris, avec celles des kabalistes juifs, nous dirons par quels points de contact les initiés des autres nations de l’antiquité se rattachent aux initiés des pagodes indoues.
Extraits de :
Louis Jacolliot, Le spiritisme dans le monde : l’initiation et les sciences occultes dans l’Inde et chez tous les peuples de l’antiquité, E. Flammarion, 1892, pp. 13-20
Note :
[1]. L’original n’existe plus.
Illustrations :
Textes sanscrits anciens & illustrations sur feuilles de latanier
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