Quelques mots sur la chronologie des Indous

vignette« La Fontaine a copié Phèdre, Phèdre a copié Babrias, Babrias a copié Esope, Esope a copié le fabuliste indou Pilpay de l’époque royale, Pilpay a copié Bamsamyayer de l’époque brahmanique, et Bamsamyayer a copié Casyappa de l’époque patriarcale. Voilà une généalogie indiscutable, car les œuvres de ces différents fabulistes nous sont restées et il suffît de les interroger pour se convaincre qu’aucun d’eux n’a pris la peine de dissimuler son imitation. » Louis Jacolliot, Les fils de Dieu.

Afin de rendre la lecture plus fluide, nous insérons au début de chaque article des liens de cette série inédite d’une vingtaine d’extraits de plusieurs ouvrages sur l’origine du christianisme et ses rapports avec les anciennes religions de l’Inde, bref une comparaison de la Bible avec les anciens textes sanscrits. C’était l’oeuvre de Louis Jacolliot (1837 – 1890), magistrat français aux Indes au temps de la colonisation.

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Nous ne pouvions commencer ce chapitre par une citation mieux appropriée au sujet, que cette phrase d’un discours du savant brahme Tamasatchari, qui fut notre professeur de samscrit dans l’Inde…
S’il est un reproche que notre époque mérite qu’on lui fasse, c’est celui d’étudier l’Inde avec les préjugés de la chronologie biblique, et de faire de la science avec un système religieux. Il s’établit peu à peu, en matière d’orientalisme, une science officielle qui si on n’y prend garde sera la ruine des études ethnologiques, et remplacera la vérité historique par des inventions d’école.
Rien n’est dangereux en ces matières comme l’esprit de caste et le parti pris de l’homme dévoué à une secte religieuse, tout est ramené par lui à un point de vue unique, et cherchant dans ses croyances personnelles son critérium de certitude, il rejette tout événement, tout fait, toute date, tout ouvrage qui peuvent être en contradiction avec les dogmes de son Église, quand il ne lui arrive point de les altérer pour en étayer ses doctrines.
A quel résultat sérieux voulez-vous qu’on arrive lorsqu’on étudie l’Inde des védas et de Manou, l’Inde d’il y a quinze mille ans comme M. Pavie, avec l’idée préconçue d’y rencontrer l’influence de Moïse, qui devait naître douze mille ans plus tard, ou de soutenir, comme M. Philarète Chasles, que l’Inde est fille de la Grèce?
Cela ne nous étonne pas; l’Inde ne se révèle point ainsi, à qui ne connaissant ni ses mœurs, ni sa langue, a encore la prétention de l’étudier au courant de la plume et du hasard sur les rives de la Seine. Et nous sommes persuadé qu’en Chine, plus d’un critique à boutons bleus, qui fait de l’occidentalisme sans avoir dépassé les murailles de Pékin est exposé tous les jours à faire assassiner Henri III par Charlotte Corday, et à faire épouser la papesse Jeanne au régent.
Ce qui nous irrite,c’est de voir exposer des théories personnelles, écrire des volumes en contradiction flagrante avec l’histoire de l’Inde écrite par elle-même, c’est de Voir que c‘est presque un parti pris de ne tenir aucun compte des annales les plus authentiques qui soient au monde, de la seule chronologie logique, indiscutable, celle des brahmes, tout entière basée sur les éclipses et les précessions des équinoxes. Nous prouverons bientôt, par un calcul astronomique indiscutable, que l’Inde d’il y a quinze mille ans possédait déjà les védas, Manou, et la plupart de ses monuments philosophiques et littéraires.
Eh! messieurs, qui placez votre petite barricade mosaïque ou grecque autour de l’Inde ancienne, pourquoi vous escrimez-vous contre la certitude des dates brahmaniques, que vous n’avez jamais vérifiées, j’en suis sûr, alors que vous ne pourriez même pas écrire une histoire authentique des rois de la première race franque jusqu’à Clovis ?
Quoi, il vous est impossible de remonter dans vos propres annales, à quatorze siècles en arrière, parce que la tradition écrite vous fait défaut, et vous vous prononcez aussi légèrement sur l’antiquité d’une contrée qui a donné, à chacune de ses étapes le double sceau du monument et du livre ! Pensez-vous donc qu’il soit logique, pour avoir lu une traduction du Manou abrégé, quelque version douteuse du Ramayana on des extraits des Pouranas, de dire : – C’est assez, nous connaissons l’Inde. Tout cela n’est que de l’infiltration grecque ou mosaïque !…
Nous n’avons pas l’intention de blesser qui que ce soit, mais nous ne pouvons nous empêcher de dire que de pareilles énormités ne s’écriront point, le jour ou le samscrit sera devenu une langue classique…
On comprendra que nous ne puissions, dans un chapitre établir la chronologie brahmanique, la suivre dans les faits importants, dans les événements astronomiques sur lesquels elle se base d’une manière irréfutable, et qui ont fait dire au savant M. Halled, « que peu de peuples possédaient des annales aussi authentiques que celles des Indous », encore moins avons-nous la possibilité, dans ces quelques pages, de comparer la chronologie brahmanique à la nôtre, ces matières exigent de longs développements, des calculs arides, et un volume spécial. Peut-être aurons-nous quelque jour les loisirs de le publier.
Nous nous bornerons, pour le moment, à donner une idée générale de ce système chronologique, suffisante pour bien faire comprendre au lecteur à quel point les bases sur lesquelles il repose sont sérieuses et scientifiques.
Avant d’étudier cette chronologie, qui s’appuie sur la science et l’histoire, disons quelques mots d’un autre système éclos dans l’imagination rêveuse d’un poète philosophe, dans le but de s’accorder avec certains passages de Manou et des écritures sacrées. Cet aperçu ne saurait manquer d’intérêt, quand on saura que c’est à ce second système, que les indianistes européens doivent la plupart des erreurs qu’ils ont accréditées.
On va voir qu’il suffisait d’un peu de bonne volonté seulement, pour faire justice de ces exagérations nées d’un esprit d’orthodoxie religieuse poussé jusqu’à l’absurde. Les brahmes savants ne font nulle difficulté de reconnaître que les théories scientifiques des védas et de Manou sont sans valeur; ceux qui ne veulent point amoindrir l’autorité des livres religieux, prétendent simplement que la clef d’explication de ces passages obscurs est perdue. Aussi doit—on s’étonner à bon droit que certains indianistes aient cru de voir perdre leur temps à combattre des faits, que le premier Indou venu rejette dans le domaine des fables théologiques.
Nous lisons dans Manou, au livre premier :

« Maintenant, apprenez par ordre et succinctement quelle est la durée d’une nuit et un jour de Brahma, et de chacun des quatre âges (yougas).
« Quatre mille années divines composent, au dire des sages, le crita-youga; le crépuscule qui précède est d’autant de centaines d’années, le crépuscule qui suit est pareil.
« Dans les trois autres âges qui vont suivre, également précédés et suivis d’un crépuscule, les milliers et les centaines d’années sont successivement diminuées d’une unité.
« Ces quatre âges qui viennent d’être énumérés étant supputés ensemble, la somme de leurs années, qui est de douze mille, est dite l’âge des dieux.
« Sachez que la réunion de mille âges divins, compose en somme un jour de Brahma, et que la nuit a une durée égale.
« Ceux qui savent que le saint jour de Brahma ne finit qu’avec mille âges, et que la nuit embrasse un pareil espace de temps, connaissent véritablement le jour et la nuit.
« A l’expiration de cette nuit, Brahma qui était endormi, se réveille, et en se réveillant fait émaner l’Esprit qui par son essence, existe et n’existe pas.
« Poussé par le désir de créer, l’Esprit opère la création et donne naissance à l’éther, que les sages considèrent comme ayant la faculté de transmettre le son.
« De l’éther naît l’air dont la propriété est tangible, et qui est nécessaire à la vie.
« Par une transformation de l’air, la lumière se produit.
« De l’air, de la lumière qui produit la chaleur, naît l’eau, etc… »

Ces paroles de Manou ont donné naissance au système du monde d’où est sortie la chronologie fantaisiste dont nous nous occupons.

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Le zodiaque hindou

Le Zeus ou Dieu irrévélé, habite dans l’éther immense, il l’emplit tout entier, car il est tout. Sa vie est divisée comme celle de l’homme, en jours et en nuits.
Le jour se compose de quatre âges; Crita-youga ou âge d’or; Treta-youga ou âge d’argent; Devapara-youga ou âge d’airain; Cali-youga ou âge de fer.
Chacun de ces quatre âges dure trois mille années divines, soit un million sept cent vingt-huit mille années humaines.
Les quatre âges équivalent à douze mille années divines, soit six millions deux cent douze mille années humaines.
Le jour et la nuit de Brahma se composent donc chacun de six millions deux cent douze mille années humaines, car le jour et la nuit sont d’égale durée.
Lorsque commence le jour divin, Brahma se réveille, et son esprit se met à créer: l’éther, l’air, l’eau, le feu paraissent d’abord; la matière se forme, se divise, les mondes commencent à graviter dans l’espace, la lumière, la chaleur, l’air et l’eau développent sur chaque monde l’existence végétale et animale, et pendant tout un jour du dieu, la nature entière fermente dans l’immense creuset, engendrant partout la force, le mouvement, la vie; mais au jour va succéder la nuit… Empruntons à Vamadéva-Modely la description de cette seconde période de l’existence divine.

« De toutes parts des bruits étranges se produisent, précurseurs de la nuit de Brahma, le crépuscule se lève, le soleil vient de passer au trentième degré du macara (monstre marin, signe du zodiaque), il n’arrivera point au signe des minas (poissons, signe du zodiaque), et les gourou des pagodes, préposés au rasitchacra (zodiaque) peuvent briser leur cercle devenu inutile.
« Peu à peu la lumière pâlit, la chaleur diminue, les lieux inhabitables se multiplient, l’air se raréfie de plus en plus; les sources tarissent, les grands fleuves voient leur eau s’épuiser peu à peu, l’Océan n’a plus que du sable, les plantes meurent, les hommes et les animaux diminuent tous les jours; le mouvement et la vie perdent leur force, les astres ne gravitent plus qu’avec peine dans l’espace, comme une lampe que la main du chocra n’entretient plus, Sourya (le soleil) vacille et s’éteint, la matière tombe dans le pralaya (dissolution), et Brahma devient Zeus, c’est-à-dire le dieu irrévélé qui se replie sur lui-même, et n’ayant plus rien à faire, puisque son jour s’est accompli, il tombe dans le repos… et s’endort.
« Et il renferme dans l’œuf d’or de sa pensée, le germe de tout ce qui existe, ainsi que le dit le divin Manou. – Pendant son paisible sommeil, les êtres animés pourvus des principes de l’action quittent leurs fonctions et le sentiment (manas) tombe dans l’inertie. Lorsqu’ils sont dissous en même temps dans l’Âme suprême, cette âme de tous les êtres dort tranquillement dans la plus parfaite quiétude.
« Après s’être retiré dans l’obscurité primitive, elle y demeure longtemps sans accomplir ses fonctions, et dépouillée de sa forme qu’elle ne reprend qu’au réveil.
« C’est ainsi, que par un réveil et par un repos alternatif, l’être immuable fait revivre ou mourir éternellement tout cet assemblage de créatures mobiles et immobiles. »

Suivant le mythe poétique que nous étudions, les trois premiers âges et plus, seraient déjà écoulés, nous serions dans la seconde moitié du cali-youga et marcherions à grands pas vers la nuit divine, c’est-à-dire la dissolution de toutes choses. Cependant il ne faudrait pas trop s’en émouvoir car il resterait encore à notre chétive planète quelques centaines de mille ans à vivre.
Une fois cette singulière opinion admise sur la nuit et le jour divins, la création et la durée des mondes, il était tout naturel qu’il se rencontrât quelque fanatique religieux qui, ayant essayé de soumettre les événements historiques à cette arbitraire division du temps, créa une chronologie théologique que les brahmes eux-mêmes laissèrent vulgariser; car tout ce qui contribuait à répandre dans le peuple des idées merveilleuses et inexplicables, concourait à consolider leur puissance.
Moïse, en se rattachant au premier homme par cinq ou six patriarches qu’il fait vivre huit et neuf cents ans, se révèle également comme un chronologiste-escamoteur des plus naïfs, car dès qu’il se rapproche de son temps, il diminue immédiatement la vie humaine des huit neuvièmes et pour échapper sans doute à toute question embarrassante, il met cette besogne sur le dos de cet excellent Jéovah, qu’il avait toujours à son service dans les grandes occasions.
Dans l’Inde, les brahmes rient volontiers de la chronologie que nous venons d‘exposer. En Europe, les prêtres nous menacent du feu éternel si nous refusons de digérer les neuf siècles et fraction de Mathusalem !
Les brahmes d’aujourd’hui ont perdu leur pouvoir politique, ce ne sont plus que des savants qui passent leur vie dans l’étude; ils n’ont plus besoin de soutenir la superstition avec plus de force que la vérité dans l’intérêt de leur despotisme. Tandis que nos brahmes à nous, qui luttent avec un acharnement digne d’une meilleur cause, pour conserver leur influence, leurs privilèges, et restaurer les trônes qui croulent, ne peuvent nous faire grâce d’une année de la vie de Mathusalem, nous abandonner une seule date de la Bible.
On ne peut détruire un anneau de la chaîne sans renverser la révélation, et avec elle toute la société cléricale.
Espérons que chronologie et révélation mosaïques, ne seront bientôt plus qu’un souvenir historique des superstitions du passé.
On conçoit qu’en se bornant à étudier la chronologie théologique que nous venons d’exposer; certains indianistes se soient crus autorisés à traiter de fabuleuse la chronologie indoue en général ce que nous ne comprenons plus, c’est qu’on ait pu croire qu’un peuple qui a produit des astronomes, des mathématiciens, des savants de premier ordre dans toutes les branches, qui a inspiré Archimède, Hippocrate, Euclide, Pluton, Aristote, et toute la pléiade grecque ait pu, en histoire, se contenter d’une chronologie aussi absurde !
Ceux qui, comme M. Halled et le savant M. Cicé, de Pondichéry, ont pu étudier et fouiller d’une main intelligente dans ces vastes dépôts philosophiques, littéraires et historiques que nous a légué l’Inde ancienne, savent combien est sérieuse et précise la chronologie historique des brahmes.
En outre qu’elle repose, comme celle d’Europe, sur les faits importants, les monuments, les temples avec leurs inscriptions, les dynasties et les règnes de chaque rois qui s’y rapportent, le règne spirituel de tous les brahmatma (grande âme, chef de tous les brahmes) qui se sont succédés sans interruption pendant une période de plus de douze mille ans avant notre ère, en outre de tous les ouvrages de science enregistrant les progrès de chaque siècle, la chronologie brahmanique a cela de spécial que chaque naissance, avènement ou mort de roi, chaque élection de brahmatma, chaque construction de temple ou événement important, était consigné par les astronomes des pagodes sur un livre spécial, et en regard de la date, un zodiaque était construit indiquant exactement l’état du ciel au jour de l’événement dont on voulait garder le souvenir, et notant spécialement, la seconde, la minute et le degré du signe zodiacal dans lequel se trouvait le point équinoxial du printemps, de l’automne ou de toute autre saison, à l’instant de l’observation.

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Les constellations du zodiaque

On sait que le mouvement annuel de précession qu’observent les astres relativement au soleil, est pour ainsi dire comme un cadran immense sur lequel on peut mesurer les siècles, comme se mesurent les heures sur un chronomètre.
Pour les temples et les monuments, on ne se contentait pas d’inscrire la date de leur construction, et leur zodiaque sur le livre dont nous venons de parler; le même zodiaque était gravé sur le plafond du péristyle de la pagode ou sur une des façades du monument.
De cette habitude de fixer l’état du ciel à chaque événement important, à chaque naissance de roi, pour en conserver le souvenir, est venu, on n’en saurait douter, cette coutume de tirer l’horoscope que les Arabes nous apportèrent au moyen âge. Perdant de vue le but primitif, qui n’était que de fixer une date, peu à peu la superstition avait fait dégénérer ce calcul astronomique en une opération magique, destinée à obtenir des astres la révélation des secrets de l’avenir.
Il y eut les bons et les mauvais signes, les constellations heureuses et maudites, et souvent la présence d’une étoile dans tel ou tel degré du signe, en autorisant les rois à faire la guerre ou la paix, a changé la face des empires.
Les rajahs de l’Inde ne marchaient jamais sans leurs brahmes astronomes, et se conformaient aveuglément à leurs déclarations.
On sait le rôle qu’ont joué les astrologues en Europe pendant plusieurs siècles, et les nombreux adeptes que les sciences occultes firent même parmi les savants. Nous aurons occasion de constater plus tard, que de même, l’astrologie, l’alchimie, et la recherche de la pierre philosophale,et de l’or potable destinés à prolonger la vie pendant des siècles, sont nés dans l’Inde. Les brahmes furent les premiers savants qui ont cherché à ravir à la nature le secret d’une éternelle jeunesse, et même de l’immortalité en ce monde, en trouvant quelque liqueur, composée de tous les principes de la vie végétale et animale et qui, par un usage constant, rendit au corps de l’homme, les forces qu’il perd chaque jour. Et le magnétisme, poussé par les fakirs des pagodes, jusqu’au miracle !…
Mais ne nous laissons point entraîner en dehors de notre sujet… contentons-nous de dire avec M. Langlois, l’éminent indianiste: – Que de mystères l’Inde recèle, et que de choses merveilleuses nous avons à apprendre aux autres!
Le rasitchacra des brahmes ou zodiaque, destiné à marquer le mouvement annuel de précession des astres, et à noter la situation du point équinoxial dans un des degrés d’un signe, est partagé en douze signes, divisés chacun en trente degrés, soit trois cent soixante pour le tout. Voici les noms de ces signes :
Mecha. . . . . . . . . Le Bélier.
Vricha. . . . . . . . .  Le Taureau.
Mithouna . . . . . . Le Couple.
Carcataca . . . . . . L’Écrevisse.
Sinha . . . . . . . . .  . Le Lion.
Canya. . . . . . . . .  . La Vierge.
Toula . . . . . . . . .  . La Balance.
Vristchica . . . . . .  Le Scorpion.
Dhanous. . . . . . . . L’Arc.
Macara . . . . . . . . . Le Monstre marin.
Coumbha . . . . . . . L’Urne.
Minas . . . . . . . . . . . Les Poissons.
On ne saurait douter que les zodiaques égyptien, chaldéen et grec ne soient la copie servile du zodiaque brahmanique, dont les émigrations avaient emporté avec elles le secret astronomique. Ce sont les mêmes noms, les mêmes dimensions, le même esprit scientifique.
Il est un fait qui défie toute controverse, toute discussion ; car il est prouvé par tous les zodiaques gravés dans les vieilles pagodes de l’Inde, par tous les monuments, par tous les calculs scientifiques, par tous les livres d’astronomie, c’est que, depuis les temps les plus reculés les prêtres brahmes faisaient le mouvement de précession de 50” 9’” 3/4 par an, ni plus ni moins que nos observatoires scientifiques, et par conséquent, le connaissaient et le pratiquaient avec une précision que nous n’avons pas dépassée.
Il ressort de là, que la chronologie brahmanique, dont tous les faits et dates importantes sont basés sur de pareils calculs, est d’une certitude, pour ainsi dire mathématique, que ne pourrait revendiquer à un égal degré aucune autre chronologie du monde.
Seulement, hâtons-nous de le dire, il est plus facile de déclarer l’histoire ancienne de l’Inde fabuleuse et indéchiffrable, que de s’imposer le travail long et pénible qui peut nous amener à y porter le flambeau.
Consacrer dix années de sa vie à étudier le samscrit, à s’initier dans le silence des pagodes, sous la direction des brahmes, à tous les mythes,  à tous les symboles religieux, à tous les événements de l’histoire, à toutes les abréviations de la langue et des manuscrits, à toutes les difficultés de l‘écriture; faire sur sa vieille langue mère, et sa littérature, le travail de reconstruction de l’École des chartes, est au-dessus du courage de la plupart, et il est plus facile de dire dans une chaire où on épelle le samscrit, ou d’écrire dans une Revue que le passé de l’Inde doit être rejeté dans la fable mythologique…
Il y a, nous ne saurions trop le répéter, deux siècles de travail pour les érudits à faire le jour historique sur ce passé, mais on arrivera à l’écrire avec plus de certitude que notre histoire du moyen âge. Les livres ne manquent pas, il suffit de les traduire et d’avoir la clef pour les commenter.
Nous revenons toujours à notre delenda Carthago. Qu’on transporte l’école d’Athènes, inutile aujourd’hui, dans le sud de l’Inde, que l’on donne à ces élèves, qui sont déjà des maîtres, des brahmes pour professeurs, et l’on verra les résultats. On ne refera l’histoire des premiers temps de l’humanité que par ce moyen… Multipliez les chaires de samscrit, vous multiplierez les demi-savants en nga et en ktrya, qui passeront leur temps à traduire Manou, Sacountala, déjà trente fois traduits, ou à faire des paraphrases fantaisistes sur le Ramayana.
Laissez de côté la poésie épique, qui ne nous donne que le moyen de faire de l’érudition facile, et d’ériger des systèmes sur des choses qui n’existent pas, ou n’ont été imaginées qu’à titre de symbole.
Venez traduire les ouvrages de science, et quand vous serez initié a leurs formules, vous verrez quelle récompense et quelles moissons…
A côté des manuscrits où les brahmes consignaient leurs formules algébriques et le secret de leurs calculs d’astronomie, il en existait d‘autres dans lesquels le fait astronomique qui concourait à donner date certaine à un événement, était symbolisé; de là, d’insurmontables difficultés d’explication pour quiconque n’a pas reçu des brahmes la clef de ces études.
Pour rendre notre pensée plus sensible, nous allons prendre dans la seconde partie de l’Avadhana-Sastra, qui se rapporte aux premiers temps de l’ère brahmanique, un fait d’histoire constaté par une observation astronomique gravée ou manuscrit scientifique, et symbolisé dans le manuscrit qui en fait le récit historique.
D’un côté, en fixant d’une manière certaine, indiscutable la date de cet événement historique, par le moyen de la situation astronomique que les brahmes lui ont attaché, nous prouverons la certitude de la chronologie brahmanique ; et de l’autre, par l’explication de la phrase symbolique qui est en tête du récit, nous démontrerons à quel point l’initiation est nécessaire pour apporter la lumière dans ces études.
Nous lisons dans l’Avadhana-Sastra ou récits historiques…
IIè partie.
« Lorsque le saint ermite Yati-Richi fut désigné comme le plus digne de représenter Brahma, Sourya effleurait Mecha de ses rayons bienfaisants, et le riz et le menu grain jaunis, attendaient la faucille. »
Avant de donner l’explication de cette phrase qui indique la date précise de la nomination du sage Yati-Richi aux éminentes fonctions de brahmatma, c’est-à-dire de chef religieux de tous les brahmes, voyons comment s’exprime le Vedanga-Sastra, ou recueil de chronologie historique fixée par l’astronomie.
« Prise de possession de la houle d’ivoire représentant le monde, et du trépied d’or, par le brahmatma Yati-Richi. – Sourya (le soleil) partage d’une manière égale les jours et les nuits; le point équinoxial d’automne, se trouve au premier degré du Bélier. »

le zodiaque en tenture

Un simple calcul astronomique va nous donner maintenant la date de l’élévation de Yati-Richi aux fonctions de brahmatma.
Il est de principe que la précession annuelle est de 50″ et une fraction d’environ 1/3. Il en résulte qu’un degré se déplace en une période de 71 années 9 mois, et un signe entier en 2153 années environ.
Or, en remontant de signe en signe déplacé, on constate : que le point équinoxial du printemps se trouvait au premier degré du Bélier, l’an 388 avant Jésus-Christ.
Et en continuant à se diriger par le déplacement des signes on arrive à trouver que le point équinoxial de l’antenne était au premier degré du Bélier, en l’an 13300 avant notre ère.
Donc nous pouvons dire avec la certitude d’un calcul astronomique, que Yati-Richi a été élu brahmatma, en l’an treize mille trois cent avant votre ère, puisqu’au moment de son élection, le zodiaque construit pour fixer l’état du ciel, indique que le point équinoxial de l’automne était au premier degré du Bélier, état que le monde ne reverra que dans onze mille ans d’ici environ.
Il n’est pas dans notre propre histoire de date plus indiscutable que celle-ci.
Les anciens brahmes faisant leurs calculs de précession de la même manière que nos astronomes modernes, il s’ensuit que la science brahmanique et la science moderne, se rencontrent toutes deux, pour donner à cette date de l’élection de Yati-Richi toute la certitude d’un problème de mathématique résolu.
La chronologie des brahmatma ou chefs suprêmes religieux, ainsi que celle des deux grandes dynasties de rois, Soma-Vansa et Sourya—Vansa (dynasties lunaires et solaires) ainsi établies, tous les autres faits historiques viennent d’eux-mêmes se grouper autour de ces points de repère et recevoir la consécration de leur authenticité. Nous allons voir comment est facile maintenant l’explication de la phrase de l’Avadhana-Sastra.
« Lorsque le saint ermite Yati-Riehi fut désigné comme le plus digne de représenter Brahma, Sourya effleurait Mecha de ses rayons bienfaisants, et le riz et les menus grains jaunis attendaient la faucille. »— Le soleil marquait le point équinoxial d’automne (puisque le riz et les grains attendaient la moisson), et était au premier degré du Bélier (puisque Sourya effleurait Mecha, le Bélier, de ses rayons).
Un exemple maintenant pris dans l’histoire des rois :
Pratichtâna, une des plus grandes ville de l’Inde ancienne, dont on voit encore les ruines sur les bords du Gange, vis-à vis d’Allahâbâd, fut bâtie par Nahoucha, un des rois de la dynastie lunaire. Lorsque Pratichtâna fut bâtie par Nahoucha, dit l’Avadhana-Sastra, « les grandes pluies tombaient dans l’Urne, et les rayons de Sourya éclairaient le tiers de Vricha. »
Interrogeons maintenant le Vedanga-Sastra ou livre des dates astronomiques, et nous lisons à propos de cet évènement :
« Construction de la ville de Pratichtâna par Nahoucha. — Le solstice d’hiver est au Verseau (Coumbha), le point équinoxial d’automne est au dixième degré du Taureau (Vricha). »
Le calcul astronomique le plus élémentaire nous apprend que le point équinoxial d’automne était au dixième degré du Taureau environ trois mille deux cent cinquante-huit ans avant Jésus—Christ.
Donc la ville de Pratichtâna a été construite l’an trois mille deux cent cinquante-huit avant notre ère.
Il est facile de comprendre maintenant la phrase de l’Avadhana-Sastra, se rapportant à cette date. « Les grandes pluies tombaient dans l’Urne, — c’est-à-dire le solstice d’hiver était au Verseau. — Les rayons de Sourya éclairaient le tiers de Vricha, (Taureau) — c’est-à-dire le point équinoxial du printemps était au dixième degré du Taureau, — le tiers du signe.
Nous ne savons si nous avons fait cette démonstration suffisamment claire et accessible à tous; le système est cependant des plus logiques, s’il ne peut prétendre à la simplicité; de plus, il fixe d’une manière indiscutable, et pour toujours les dates qu’il consacre par la construction d’un zodiaque, contenant l’état exact du ciel au moment où s’est passé l’évènement dont on veut garder la mémoire.
Une fois le zodiaque construit, et la formule astronomique donnée, la formule scientifique est traduite dans une phrase imagée et symbolique, dont l’histoire se sert à son tour pour indiquer l’époque où s’est passé le fait dont elle rend compte.
Le point équinoxial de l’automne était au premier degré du Bélier, dit la formule scientifique au livre des zodiaques.
Sourya effleurait Macho de ses rayons, et les grains jaunis attendaient la moisson, dit le manuscrit historique.
Les deux phrases signifient exactement la même chose: il suffit comme on voit d’en posséder la clef.
Le brahme historien, à chaque grand événement servant à grouper les faits d’une même époque, recevait sa formule du brahme astronome.
Sans doute il sera long, il sera pénible de reconstituer tout ce passé, d’interroger à chaque fait la formule astronomique, pour lui restituer sa date, aujourd’hui surtout que la chute de la puissance brahmanique a dispersé les manuscrits les plus précieux, dans les différentes pagodes du sud de l’Inde; mais qu’on ne vienne plus nous dire que la chronologie des Indous ne repose que sur des bases fabuleuses, et qu’il est impossible de lui accorder la moindre confiance.
Une pareille opinion n’a point pris naissance parmi les orientalistes vraiment dignes de ce nom, et qui étudient la merveilleuse civilisation des brahmes, sans esprit de secte ou d’école. Ceux-là entrevoient et comprennent tout ce que l‘avenir nous révélera sur ce passé, lorsqu’on ira demander aux sources mêmes l’initiation et la clef de ces mystères scientifiques et religieux. Il nous est impossible de donner plus de développement à cet aperçu sur le système chronologique des Indous, sans nous exposer à dépasser les bornes de la revue générale que nous avons entreprise; nous avons indiqué les bases, et donné des exemples : aux studieux, à ceux qui comprennent tout ce qu’il y a à exhumer dans les quinze ou vingt mille ans qui ont précédé notre ère, à se dévouer à ces études, à venir ici, à Trichnopoli ou à Chélambrum, étudier sous la direction des brahmes, et ravir de force les secrets d’une science qui ne viendra point d’elle-même les révéler aux indianistes de cabinet.
Vous êtes allé étudier la Grèce au pied du Parthénon, l’Égypte à Esneh, à Denderah, dans l’intérieur des pyramides et des sarcophages des rois; venez étudier l’Inde sous le portique des pagodes, dans l’intérieur des temples dédiés à la trinité Brahma, Vischnou, Siva, et près des ruines de Madura, la ville sainte dans laquelle est né le rédempteur Christna.
Et c’est ainsi seulement que nous cesserons de mériter les reproches du brahme Tamasatchari.

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Extrait de Les Fils de Dieu de Louis Jacolliot, Albert Lacroix et Cie Éditeurs, Paris, 1973, 362 p.

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