Minos et la Grèce

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« Un homme donne à l’Inde des lois politiques et religieuses, et il s’appelle Manou. Le législateur égyptien reçoit le nom de Manès. Un Crétois se rend en Égypte pour étudier les institutions dont il veut doter son pays, et l’histoire conserve son souvenir sous le nom de Minos. » Louis Jacolliot ( 1837 – 1890), La Bible dans l’Inde.

Afin de rendre la lecture plus fluide, nous insérons au début de chaque article des liens de cette série inédite d’une vingtaine d’extraits de plusieurs ouvrages sur l’origine du christianisme et ses rapports avec les anciennes religions de l’Inde, bref une comparaison de la Bible avec les anciens textes sanscrits. C’était l’oeuvre de Louis Jacolliot (1837 – 1890), magistrat français aux Indes au temps de la colonisation.

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La preuve la plus irréfutable de l’influence de l’Inde sur la Grèce est dans ce fait, sur lequel nous nous sommes déjà fort longuement étendu, que le sanscrit a formé la langue de ce pays. En effet, tous les noms des époques fabuleuses et héroïques des dieux et des demi-dieux, tous les noms des peuples que la Grèce nous a transmis sont du sanscrit presque pur ; on peut dire également que la plupart des mots qui composent cette langue et sa syntaxe ont la même origine, et cela sans craindre le plus léger démenti, et, si les discussions pouvaient se produire sur ce terrain, il nous serait facile de démontrer que cette assertion est simplement une vérité mathématique qui, comme telle, peut vigoureusement s’affirmer et se prouver. Aussi ne consacrerons nous que quelques lignes au législateur crétois, dont l’oeuvre écrite, du reste, ne nous est pas parvenue.
Minos a une origine incontestablement asiatique; l’histoire grecque le fait venir de l’Orient en Crète, où le peuple, frappé de sa sagesse, lui demanda des lois. Il se mit alors à voyager en Égypte, dont il étudia les institutions ; l’Asie, la Perse et les rives de l’Indus le virent à leur tour interroger les traditions et les législations antiques, puis il revint donner aux Crétois son livre de la loi, qui, peu après, fut adopté par la Grèce entière.
Ce fut probablement à la suite de ses voyages qu’il reçut le nom de Minos, dont, ainsi que nous l’avons dit, la racine sanscrite signifie : législateur, et on conçoit qu’en présence de ses pérégrinations en Égypte et en Asie, en présence de son origine orientale, nous nous trouvions à l’aise pour le rapprocher de Manou et de Manès et émettre l’opinion, attestée par les faits, puisqu’il est remonté aux sources primitives pour s’instruire, qu’il s’est inspiré des oeuvres des législateurs indous et égyptiens, et qu’il a tenu à honneur de s’approprier le titre honorifique que la reconnaissance des peuples avait décerné à ses deux devanciers.

Nous ne saurions trop répéter que ces mots de Manou, Manès, Minos et Mosès ne sont point des substantifs propres, mais bien des titres qualificatifs portés par les législateurs antiques, de même que les rois de l’Inde portaient le titre de Tchatrias ou Xchatrias, ceux de Perse celui de Xercès, ceux d’Égypte celui de Pharaon.

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Ruines du Palais de Malia, Crète

Donc, nous contentant des preuves déjà données dans le premier chapitre de cet ouvrage, nous ne rechercherons pas si les fêtes grecques, les pythonisses et les mystères d’Eleusis, si habilement exploités par les prêtres, ne se rattachent pas, comme cela est notre ferme croyance, aux fêtes, aux devadassis et aux mystères du brahmanisme; aussi bien la Grèce, qui subit à un si haut degré l’influence de la langue, de la philosophie et de la littérature indoue, se dégageant rapidement de son origine fabuleuse, eut vite fait de rire de son Olympe, des dieux débauchés d’une tradition superstitieuse, et, ainsi que nous l’avons vu, de marcher d’un pas ferme dans la voie que les Sostras lui avaient ouverte, à la conquête de l’indépendance de la pensée.
Si Rome ne fût venue, avec son invasion brutale, sécher la force et la vie de cette admirable contrée, il y a long temps que tous les problèmes de progrès et de liberté, pour lesquels l’Europe n’a pas encore fini de s’agiter et de faire des révolutions, eussent été résolus par les fils de l’Hellade, par ces descendants de la libre et primitive société indoue.
Quoique les prêtres et la famille des Eumolpides chargés du culte de Cérès, qui furent vraisemblement une caste de lévites, eussent aussi joui en Grèce d’une grande influence, surtout dans la période ancienne, il n’apparaît pas qu’ils fussent jamais parvenus à confisquer à leur profit le gouvernement de la nation, et c’est à cela surtout qu’il faut attribuer le développement considérable de l’esprit humain sur cette petite terre, qui était parvenue à établir chez elle le règne de la démocratie et de la liberté à une époque où tous les despotismes politiques et religieux se donnaient la main pour asservir le monde.
Nous savons, en effet, qu’à partir de la chute d’Hippias jusqu’aux conquêtes macédoniennes et romaines, Athènes donne aux nations modernes l’exemple d’un gouvernement populaire, dans lequel la liberté sut faire éclore toutes les gloires splendides de la littérature, de la philosophie et des arts.
Le citoyen nommait par le suffrage universel ses archontes, ses magistrats, ses fonctionnaires; le droit de paix et de guerre, le pouvoir législatif, la discussion de tous les grands intérêts de la république appartenaient aux assemblées générales du peuple, auxquelles tout homme libre devait apporter, sous peine de déchéance de ses droits, l’aide de sa parole et de son vote.
Ce fut la première apparition de l’idée nationale dans le monde substituée à cette servile obéissance aux caprices d’un maître qui jusqu’alors avait dominé les sociétés.

Une fresque du Palais de Cnossos, Crète

L’Inde râle et meurt sous le prêtre ; l’Égypte, héritière de cette tradition, finit par renverser la théocratie pour se jeter dans les bras des rois, et la Grèce, se souvenant de l’Orient et des dominations sacerdotales qu’elle avait fuis pour s’épanouir sur une terre plus libre, ajoute un progrès de plus, et, remplaçant l’esclave par le citoyen, fonde le gouvernement de la nation par la nation.
C’est de là qu’est né l’esprit moderne. Ainsi, ces premières émigrations indoues par le sud, après avoir subi longtemps l’influence de la révélation et du prêtre, étaient parvenues peu à peu à les renverser et à entrevoir le progrès par l’indépendance et la raison.
Pourquoi faut-il que le second courant d’émigration par l’Himalaya et les plateaux du nord, qui amena en Europe les tribus Scandinaves, germaniques et slaves, sans doute arrêté par l’aridité de la terre et les rigueurs d’un climat nouveau, n’ait pu arriver aussi rapidement à la civilisation que les nations du midi, et se soit un beau jour précipité sur elles pour les détruire?
Sauvages enfants des forêts, adorateurs d’Odin et de Skanda, ces peuples avaient gardé le souvenir légendaire de leur origine ; leurs chants et leurs poésies, pleins des traditions orientales, leur disaient qu’ils retrouveraient leur ciel sans nuages et leur berceau; et, à la recherche d’Asgard, la ville du soleil, ils rencontrèrent… Rome, et le monde ancien disparut. Et le monde nouveau sommeilla pendant plus de quinze siècles sous une domination ni moins sacerdotale ni moins tyrannique que celle de l’antiquité, avant de retrouver les grands souvenirs, les grandes vérités sociales et politiques légués par la Grèce.

Extrait de :
Louis Jacolliot, La Bible dans l’Inde. Vie de Iezeus Christna,  A. Lacroix, Verboeckhoven & Cie. Éditeurs, Paris, 1869, pp. 96-99.

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Illustrations:

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