Zeus – Iezeus – Isis – Jésus

vignette« Poussé par le désir de créer (qui est en Brahmâ), l’Esprit opère la création et produit l’éther auquel on reconnaît la propriété du son. L’éther en se transformant donne naissance à l’air, pur, puissant, véhicule de toutes les odeurs, auquel on attribue la propriété de la tangibilité. Puis l’air en se transformant donne naissance à la lumière brillante, qui éclaire et dissipe les ténèbres : on lui reconnaît la propriété de la couleur. La lumière en se transformant (donne naissance à) l’eau qui a pour propriété la saveur; de l’eau (provient) la terre qui a pour propriété l’odeur : telle est la création à l’origine. » (Les lois de Manou)

Afin de rendre la lecture plus fluide, nous insérons au début de chaque article des liens de cette série inédite d’une vingtaine d’extraits de plusieurs ouvrages sur l’origine du christianisme et ses rapports avec les anciennes religions de l’Inde, bref une comparaison de la Bible avec les anciens textes sanscrits. C’était l’oeuvre de Louis Jacolliot (1837 – 1890), magistrat français aux Indes au temps de la colonisation.

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De même que les quatre législateurs dont nous avons parlé, Manou, Manès, Minos et Moses, dominent la société antique tout entière, de même ces quatre noms, Zeus, Iezeus, Isis, Jésus, sont à la tête de toutes les traditions religieuses des temps anciens et modernes.
Zeus, en sanscrit, signifie le Dieu par excellence; c’est l’épithète de Brahma, non agissant, irrévélé avant la création. Ce nom renferme en lui tous les attributs de l’Être suprême : Brahma-Vischnou-Siva.
Cette expression de Zeus fut admise sans le moindre changement par les Grecs; pour eux elle représente également Dieu dans sa pure essence, dans son existence mystique ; quand il sort de son repos et se révèle par l’action, l’Être suprême reçoit de la mythologie grecque le nom de Zeus-pater, c’est-à-dire Jupiter, Dieu père, créateur, maître du ciel et des hommes.
Le latin, adoptant ce mot sanscrit et grec de Zeus, ne lui fit subir qu’une légère modification d’écriture, et ce nom de Zeus devint Deus, d’où nous avons tiré nous-mêmes notre expression de Dieu, avec une signification identique à celle adoptée par les anciens.
Dieu est, en effet, dans l’idée chrétienne, le nom de l’Être symbolique, réunissant en lui tous les attributs des trois personnes de la Trinité : le Père, le Fils, le Saint-Esprit.
Ainsi, ce nom de Dieu, dans son origine grammaticale, c’est-à-dire dans son étymologie, aussi bien que dans le sens figuré qu’on y attache, n’est qu’un legs du sanscrit, qu’une tradition indoue. De Zeus, les Grecs firent aussi Théos. Cette seconde expression s’éloignait peu de la première, car si nous avons rendu par notre ‘th’ le ‘z’ un peu aspiré du sanscrit et le ‘thêta’ du grec, en suivant les règles de prononciation de ces deux langues, nous lirions Zéos, plutôt que Théos. Le ‘th’ grec n’est qu’un ‘z’ fort et aspiré.
Du Zeus sanscrit est né également le Jéhova des Hébreux, qui signifie celui qui existe par lui-même, copie évidente de la définition de l’Être suprême par Manou, livre Ier, sloca 6 : « Le Seigneur existant par lui-même, et qui n’est pas à la portée des sens externes. »Pour quiconque s’est occupé d’études philologiques, Jéhova dérivé de Zeus est facile à admettre.
Dans l’étude des langues comparées, on ne s’occupe que des radicaux, c’est-à-dire des racines des mots, les variations des terminaisons étant presque toujours arbitraires. D’un autre côté, on ne peut guère se servir, pour les comparaisons des mots anciens, de nos lettres françaises, dont l’emploi est toujours régulier, fatal et trop logique. Dans la plupart des langues anciennes et orientales, dans le sanscrit comme dans le grec, l’hébreu, l’arabe et le persan, le ‘j’ n’existe pas. Le son phonétique de cette lettre s’exprime par la lettre ‘i’, pour les sons doux, et par la lettre ‘z’, pour les sons légèrement aspirés.
Ainsi, suivant nous, Zehova représenterait mieux la prononciation orientale que Jéhova. Négligeant le va, terminaison hébraïque, il nous reste le radical Zeho, qui accuse de lui-même son origine et vient de Zeus au même titre que Théos ou Zéos, Deus et Dieu.
Les hommes de science trouveront, sans doute, que ces étymologies ne brillent point par le mérite de la nouveauté, et je me hâte de me ranger à leur opinion ; je voudrais même qu’ils en disent autant de tout cet ouvrage, qui n’ambitionne que le simple rôle de vulgarisateur au profit de tous d’idées agitées depuis longtemps dans la classe privilégiée des érudits, et que nul n’a encore voulu ou osé produire.
Certes, je ne crée ni les rapprochements de noms, ni les rapprochements de faits historiques, ni les identités de civilisations, ni les similitudes de langage, qui me font retrouver en Orient et dans l’Inde le berceau de notre race. Je me borne à être logique, à ne jamais vouloir considérer le fait dans son isolement, pour l’expliquer par lui-même ou par le hasard, et à montrer que, si l’homme descend de l’homme, le corollaire fatal de cette vérité est de faire procéder les nations d’autres nations plus anciennes.
Il n’y a là, je le répète, aucun système nouveau ; il n’y a que la logique de la raison appliquée à la logique de l’histoire.
Je ne saurais trop insister sur ceci, pour qu’on s’en persuade bien : chacun admet l’imitation par les modernes des anciens, que l’on considère comme ayant allumé le primitif flambeau de la civilisation. Eh bien! il faudra tôt ou tard en prendre son parti, et reconnaître que l’antiquité a copié l’Inde plus servilement qu’elle n’a été elle-même copiée par nous.
Il faudra en prendre son parti, et diminuer sensiblement l’admiration sans égale qu’on professe depuis plusieurs siècles pour ces hommes qu’on vous présente sans cesse comme des modèles, qui n’ont eu que des imitateurs et ne connurent pas de devanciers. Sans doute, ils firent briller d’un vif éclat les lumières primordiales qu’ils avaient reçues de l’Orient, mais ces lumières ne doivent point servir à voiler les vieilles civilisations d’où elles étaient descendues.

Il y a un siècle à peine que l’Inde s’est révélée à nous. Bien petit est le nombre de ceux qui ont eu le courage d’aller fouiller sur son sol les monuments, les manuscrits, toutes les innombrables richesses des premiers âges. On compte les patients qui ont voué leur vie à l’étude du sanscrit, et tenté d’en populariser le goût en Europe…
La moisson a dépassé toute attente… Mais que ne reste-t-il pas à découvrir, à révéler encore! On a retrouvé la langue primitive, celle peut-être que le premier homme commença à balbutier ; quelques fragments de livres traduits sont venus nous apprendre que l’unité de Dieu, l’immortalité de l’âme, toutes les croyances morales et philosophiques, n’étaient pas nées d’hier seulement; le voile d’obscurité des temps passés commence à se déchirer. En avant donc! toujours tout droit; et les chercheurs parviendront à faire si bien le jour qu’il ne sera plus possible de le nier.
griséMais pour cela, il faut marcher comme à la conquête des sciences exactes, fermer la porte au rêve, à l’idéalisme, au mystère; ne recevoir comme axiome que Dieu et la raison, et croire fermement que les civilisations qui nous ont précédées sur la terre ne se sont pas éteintes, sans léguer à celles qui leur ont succédé l’influence de leurs idées et de leurs exemples.
Chaque fois que je rencontre ce sujet, je m’y arrête pour le creuser plus avant, sans nul souci des reproches, des redites et de longueurs que ces hors-d’oeuvre pourront m’attirer. Je ne veux point me présenter sans défense à la critique de l’ignorance et de l’esprit de parti, et je tiens à accentuer une bonne foi inattaquable, en développant les opinions rationalistes qui ont présidé à ces travaux.
Écrivant pour les partisans décidés du libre arbitre et de la raison, je viens leur dire hautement :
– Croyez-vous aux mystères d’Isis en Égypte, d’Eleusis en Grèce, de Vesta à Rome? Croyez-vous aux buissons ardents et aux missions des envoyés célestes qui n’osent plus tenter de se produire, quelque besoin que nous en ayons peut-être?
– Croyez-vous qu’à aucune époque du passé, on ait ressuscité les morts, rendu l’ouïe aux sourds, redressé les boiteux?
– Croyez-vous aux Rakchasas et aux Pisatchas, à Belzébuth et à tous les diables de la mythologie?
– Croyez- vous aux devas, aux anges et aux saints ?
– Si, oui, ne feuilletez pas ce livre, il ne s’adresse pas à vous. Je vous combats, et votre rôle est de m’attaquer, car vous êtes un parti ;
– Si non , eh bien, écoutez et soutenez-moi, je ne m’adresse qu’à votre raison, et votre raison seule doit me comprendre.
Pensez-vous donc que j’eusse fait cet ouvrage, si l’époque que je rêve était née, si je ne voyais d’un côté le fanatisme s’écrier : Credo quia absurdum, je crois, parce que cela est absurde; et de l’autre les partisans les plus dévoués de la libre pensée, influencés par des souvenirs et des superstitions séculaires, tout en disant : je ne puis croire, ajouter immédiatement : « Cependant, nous aimerions assez renverser avec des preuves. »
Nous en sommes encore là. Il faut s’escrimer contre l’absurde pour lui prouver qu’il n’existe pas. Je disais un jour à un rationaliste, au début de mes recherches :
— Je suis persuadé que Moïse a dû tirer sa Bible des livres sacrés des Égyptiens, qui eux-êmes les tenaient de l’Inde.
— II faudrait des preuves, me répondit-il.
— Mais, continuais-je, ne savez-vous pas qu’il a été initié par les prêtres à la cour du Pharaon? N’est-il pas logique, dès lors, de croire qu’il s’est servi des connaissances qu’il avait acquises, quand il a voulu donner des institutions aux Hébreux?
— Il faudrait des preuves.
— Le considérez- vous donc comme un envoyé de Dieu ?
— Non, mais des preuves ne nuiraient pas.
— Comment ! votre intelligence ne voit pas dans ce fait que Moïse a étudié en Égypte pendant plus de trente ans, ignorant même son origine hébraïque, une preuve frappante en faveur de l’opinion que je viens d’émettre ! Laissons donc cette succession de siècles qui peut nous obscurcir le jugement. Pensez-vous que, si un Européen était appelé à donner des lois et un culte à une des tribus sauvages du centre de l’Afrique, il lui viendrait à l’esprit d’inventer ce culte et ces lois, au lieu de se servir des connaissances acquises dans sa patrie, tout en les modifiant et en les adaptant à la taille du peuple qu’il voudrait régénérer ?
— Cette opinion serait certes peu logique.
— Eh bien ! alors…
— Votre raisonnement est juste; mais, croyez-moi, notre vieille Europe aime ses fétiches; si vous touchez à Moïse, donnez des preuves, des preuves encore, des preuves toujours.
Et voilà pourquoi, au lieu de comparer simplement l’oeuvre de Manou et des Védas avec l’oeuvre de Moïse ; l’oeuvre de Christna et celle du Christ ; et de dire : Ceci vient de cela, j’ai voulu, pour étayer cette opinion, montrer que l’antiquité toute entière avait pris naissance en Orient et dans l’Inde, de façon à ne laisser à mes adversaires que la ressource de tout nier, ce qui revient à tout admettre.
Ainsi, comme nous venons de le voir, le nom que toutes les nations ont décerné à l’Être suprême vient de l’expression sanscrite Zeus.
Iezeus, autre expression sanscrite, qui signifie la pure essence divine, a été très certainement la racine, le radical créateur d’une foule d’autres noms de l’antiquité portés soit par des dieux, soit par des hommes célèbres. Tels que Isis, déesse égyptienne; Josué, en hébreu Iosuah, le successeur de Moïse; Iosias, roi des Hébreux, et Ieseus ou Jésus, en hébreu Ieosuah. Le nom de Jésus, ou Ieseus, ou Ieosuah, fort commun chez les Hébreux, fut, dans l’Inde ancienne, le surnom, l’épithète consacrée, décernée à toutes les incarnations, de même que tous les législateurs s’approprièrent le nom de Manou.
Aujourd’hui les brahmes, officiant dans les pagodes et dans les temples, n’accordent ce titre de Ieseus, ou la pure essence, ou l’émanation divine, qu’à Christna, qui est seul reconnu comme le Verbe, le véritable incarné, par les Vischnouvistes et les libres penseurs du brahmanisme.
Constatons simplement ces rapprochements étymologiques dont on peut comprendre toute l’importance : ils nous seront plus tard d’un précieux secours.
La critique passionnée, nous n’en doutons point, fera tous ses efforts pour démontrer la fausseté de l’opinion qui assigne une origine commune à ces différents noms, elle ne parviendra point à supprimer leurs frappantes ressemblances. Et cela nous suffit.
Rejetera qui voudra ces ressemblances sur le hasard, ce grand soutien des arguments aux abois, nous aurons sûrement pour nous les esprits sérieux et indépendants.

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Extraits de La Bible dans l’Inde. Vie de Iezeus Christna de Louis Jacolliot, A. Lacroix, Verboeckhoven & Cie. Éditeurs, Paris, 1869, pp. 124-131, 94.

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