Henricus Cornelius Agrippa

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Les canonistes ont beau dire que leur église ne peut errer; une femme déguisa son sexe, se fit pape et mit l’église en défaut par cette plaisante imposture.

Henricus Cornelius Agrippa (1486-1535)

Il y a quelque temps nous avons présenté une série de plusieurs articles sur Paracelse, nous continuons à parcourir la Renaissance pour faire découvrir, cette fois-ci à celles & à ceux qui ne le connaissaient pas encore, un autre personnage à la fois estimé, apprécié et reconnu de son époque comme savant par les uns mais détesté et combattu par les autres : Henri Corneille Agrippa.
Voici ce qu’a écrit G. Naudé en préface de la traduction en français de l’ouvrage intitulé La philosophie occulte d’Agrippa [1], « Il fut successivement & de charge en autre, Secretaire de camp de l’Empereur Maximilian, favori d’Antoine de Leve, & Capitaine en ses troupes, Professeur ès lettres Saintes à Dole & à Pavie, Syndic & Advocat général de la ville de Metz, Medecin de Madame la Duchesse d’Anjou, Mere du Roi François premier, & enfin Conseiller & Historiographe de l’Empereur Charles-Quint. (..) Il fut choisi par le Cardinal de Sainte Croix, pour l’assister au Concile qui se devoit celebrer à Pise; le Pape lui écrivit une lettre pour l’exhorter de poursuivre à bien faire, comme il avait commencé; le Cardinal de Lorraine voulut être Parain de l’un de ses fils en France; un Marquis d’Italie, le Roi d’Angleterre, le Chancelier Mercure Gatinaria, & Marguerite Princesse d’Autriche, l’apellerent en un même tems à leur service & enfin il fut ami singulier de quatre Cardinaux, de cinq Evèques & de tous les hommes doctes de son tems, tels qu’étaient Erasme, le Fevre d’Etaples , Tritheme, Capito , Melancthon, Capellanus, Montius, & Cantiuncula & beaucoup d’autres ne parlent de lui qu’honorablement & en très bons termes » [2].

Ce savant parlait huit langues. En ces temps un savant n’était pas simplement un spécialiste d’une seule discipline comme aujourd’hui, mais une personne qui maîtrise plusieurs domaines de connaissance. Agrippa était à la fois astrologue, agromancien, nécromancien, magicien, chiromancien, pyromachien, médecin, etc. Là où ça passait mal c’était la magie, taxée par les hommes d’Église d’œuvre du Diable, d’où aussi ses déboires. Il faut dire qu’en 1519 l’Église condamna une vieille femme de Woippy, un faubourg de Metz [3], au bûcher pour avoir pratiqué la magie, et que la mère dce cette femme avait déjà été la proie des flammes pour faits de sorcellerie. Agrippa prit courageusement la défense de la victime, il s’en est sorti mais se sentit obligé de quitter cette ville où l’inquisition régnait encore en maître. Imaginons aussi un ouvrage édité au XVIe siècle qui défend la supériorité de la femme par rapport à l’homme… c’est l’oeuvre d’Agrippa ! Les féministes y trouveront sans doute matière à leurs causes. Cet homme illustre qui a parcouru l’Europe de son temps s’est trois fois marié ; alors qu’il croyait la haine ancienne éteinte et trouver en France une atmosphère amicale, il partit à Lyon vers la fin de sa vie, et fut tout de suite cueilli puis incarcéré. Libéré sur l’intervention de hauts personnages, il gagna Grenoble où il mourut dans l’infortune peu de temps après à l’âge de 49 ans en 1535 .
Nous proposons de commencer cette rétrospective par la philosophie d’Agrippa : c’est un petit texte extrait de l’ouvrage intitulé Maçonnerie occulte suivi de l’initiation hermétique de Jean-Marie Ragon, franc-maçon notoire du XIXe siècle, édité à Paris en 1853.

Philosophie occulte d’Agrippa (*)

Agrippa1
Il y a trois mondes : l’élémentaire, le céleste, l’intellectuel.
Chaque monde subordonné est régi par le nombre qui lui est supérieur. Il n’est pas impossible de passer de la connaissance de l’un à la connaissance de l’autre, et de remonter jusqu’à l’archétype. C’est cette échelle qu’on appelle le magisme, contemplation profonde qui embrasse la nature, la puissance, la qualité, la substance, les vertus, les similitudes, les différences, l’art d’unir, de séparer, de composer; en un mot le travail entier de l’univers.
C’est un art sacré qu’il ne faut pas divulguer. La liaison universelle des choses constate la réalité et la certitude du magisme. Les quatre éléments, principes de la composition et de la décomposition, sont triples chacun. Le feu et la terre, l’un principe actif, l’autre principe passif, suffisent à la production des merveilles de la nature.
Le feu par lui-même, isolé de toute matière servant à manifester sa présence et son action, est immense, invisible, mobile, destructeur, restaurateur, porté vers tout ce qui l’avoisine, flambeau de la nature dont il éclaire les secrets.
La terre est le suppôt des éléments, le réservoir de toutes les influences célestes; elle en a tous les germes et la raison de toutes les productions : les vertus d’en haut la secondent. Les germes de tous les animaux sont dans l’eau.
L’air est un esprit vital qui pénètre les êtres et leur donne la consistance et la vie : unissant, agitant, remplissant tout, il reçoit immédiatement les influences qu’il transmet. Il s’échappe des simulacres spirituels et naturels qui frappent nos sens.
Dans le monde archétype, tout est dans tout: proportion gardée, c’est la même chose dans celui-ci. Il y a une cause sublime, secrète et nécessaire du sort, qui peut conduire à la vérité.
Le monde, les cieux, les astres ont des âmes qui ne sont pas sans affinité avec la nôtre.
Le monde vit, il a ses organes, il a ses sens.
Les imprécations ont leurs efficacités. Elles s’attachent sur les êtres et les modifient.
Les noms des choses ont leur pouvoir. L’art magique a sa langue ; cette langue a ses vertus: c’est une image des signatures. De là l’effet des invocations, évocations, adjurations, conjurations et autres formules.
Il paraît que le nombre est la raison première de l’enchaînement des choses.
Les nombres ont leur vertu, leur efficacité bien ou malfaisante.
L’unité est le principe et la fin de tout; elle n’a ni fin ni principe. Le binaire est mauvais.
Dieu est la monade. Avant qu’il s’étendit hors d’elle-même et produisît les êtres, il engendra en elle le nombre ternaire qui, comme l’unité, représente en Dieu, l’âme du monde, l’esprit de l’homme.
Le quaternaire est la base de tous les nombres.
Le quinaire a une forme particulière dans les expiations sacrées; il est tout. Il arrête l’effet des venins. Il est redoutable aux mauvais génies.
Le septenaire est très puissant, soit en bien, soit en mal.
Le nombre dénaire est la mesure de tout.
L’homme a tout en lui : le nombre, la mesure, le poids, le mouvement, les éléments, l’harmonie.
Les caractères des mots ne sont pas leurs vertus ; on en peut tenir la connaissance des propriétés et des événements.
L’harmonie analogue au concert des cieux en provoque merveilleusement l’influence.
L’intelligence de Dieu est incorruptible, immortelle, éternelle, insensible, présente à tout, influant sur tout.
L’esprit humain est corporel, mais sa substance est très subtile et d’une union facile avec la particule de l’esprit universel, âme du monde, qui est en nous.
– Peu de personnes ont compris son traité de Philosophie occulte, car il y avait une clef qu’il réservait pour ses amis du premier ordre (19 epist., lib. v).
Il a dit, avec raison, que tout ce que les livres apprennent touchant la vertu du magisme, de l’astrologie, de l’alchimie, est faux et trompeur, quand on l’entend à la lettre; qu’il y faut chercher le sens mystique, sens qu’aucun des maîtres n’avait encore développé. (Nous renvoyons aux Fastes initiatiques les divers hiéroglyphes d’Agrippa.)

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(*) Henri-Corneille Agrippa, philosophe, médecin, l’un des hommes les plus savants de son siècle, parlant huit langues. Il naquit à Nettesheim, près Cologne, le 14 septembre 1486, et mourut en 1536. Il professa toutes les conditions. On a de lui : De incertitudine et vanitate scientiarum ; De occultâ philosophiâ ; Declamatio de nobilitate et proecellentiâ, feminei sexus. Ouvrages souvent traduits et réimprimés.

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Notes :

[1]. Tome 1, paru à Paris en 1727.
[2]. Pour respecter l’authenticité, nous gardons la graphie et l’orthographe de l’époque.
[3]. « Metz était alors une cité où les moines exerçaient une domination d’autant plus tyrannique qu’il s’agissait pour eux de défendre leur ville privilégiée contre l’imminente invasion des doctrines luthériennes. »

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Illustration :

Recueil. Portraits d’Henri Corneille Agrippa (XVIe s.), s.d.

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