« A vous tous cœurs souffrants, malades et brisés, qui avez besoin d’amour, et qu’on n’aime pas en ce monde mauvais.
À vous exilés qui voyagez sur la terre sans y trouver une patrie, et qui pleurez en regardant le ciel. »
Alphonse-Louis Constant (1810-1875)
4è extrait :
Revenons aux Sabbats. Ces assemblées, véritables États provinciaux de la sorcellerie, n’avaient point d’époques fixes et ne se tenaient pas toujours dans le même lieu, afin d’échapper aux poursuites de leurs ennemis. Les adeptes furent longtemps rares dans les villes et en redoutaient même la proximité mais on en trouvait partout dans les campagnes. Chaque bourgade, chaque village possédait son devin ou sa sorcière, souvent les deux à la fois, tenant école et boutique de remèdes ou de maléfices toujours prêts à l’heure du besoin. C’est par la médecine, science secourable, qu’ils possédaient la confiance c’est par le secret usage des poisons qu’ils se faisaient redouter, c’est par leurs prétentions à la connaissance des choses cachées qu’ils gardaient leur prestige.
Les sorcières furent les sages-femmes, et les sorciers les médecins populaires du moyen âge. Le peu que nous savons de leur médecine nous est révélé par Paracelse, le plus grand docteur du XVIe siècle. L’art secret, nous dit-il, doit aux toxiques végétaux les plus merveilleuses guérisons. Les maladies du sein, si cruelles pour les femmes, disparaissent comme par enchantement sous l’application de cataplasmes sédatifs composés de jusquiame. Il en est de même des convulsions qui accompagnent un enfantement difficile, un sachet de belladone, appliqué sur le ventre, amène bientôt le calme et endort les douleurs.
La morsure des chiens enragés ou d’autres bêtes venimeuses se guérit en buvant du vin dans lequel on a fait bouillir des tiges de verveine, ou en appliquant sur la plaie les feuilles pilées de cette plante.
Les fruits du myrte, desséchés, pulvérisés et confits avec du blanc d’œuf, puis appliqués en forme d’emplâtre sur la bouche et l’estomac, arrêtent les vomissements. L’infusion des feuilles de cette plante, appliquée en compresses sur le front, les tempes et les pieds, rend un sommeil doux et réparateur aux malades tortures par les fièvres aiguës. Les rhumes invétérés et les violentes douleurs de tête, que nous appelons névralgies ou migraines, se guérissent en aspirant par la bouche les vapeurs chaudes de la même infusion.
La farine des grosses fèves blanches, appliquée sur le sein, dissout les abcès qui deviennent trop souvent mortels sous le fer de la chirurgie moderne.
Les feuilles de pêcher, confites dans le vinaigre, avec de la menthe et de l’alun, puis appliquées sur le nombril, sont pour les enfants un infaillible vermifuge.
Mâcher de la pimprenelle, en temps de peste, préserve du fléau.
La fleur de guimauve, pétrie avec de la graisse de porc et de la térébenthine, puis appliquée sur le ventre, dissipe les inflammations de matrice. La racine de la même plante, infusée dans du vin, guérit les rétentions d’urine. Sa graine, pulvérisée et pétrie en forme d’onguent dont on se frotte légèrement le visage et les mains, préserve de la piqûre des guêpes, des abeilles, etc.
La décoction de l’espèce de camomille que nous nommons « consoude royale », fait sortir du sein de leur mère les enfants morts. Employée en compresses sur les yeux, la même décoction en détache les taies.
Les tiges d’aneth, cuites dans l’huile et appliquées sur la tête délivrent de l’insomnie.
La joubarbe, broyée avec de la farine d’orge et de l’huile, fait disparaître les dartres et autres éruptions de la peau.
Les feuilles de plantain des prés, broyées et appliquées en cataplasmes, guérissent les ulcères des jambes et des pieds. La semence de la même plante, broyée dans du vin, ou ses feuilles confites en vinaigre, arrêtent la dysenterie. La même plante, mangée crue, après du pain sec, et sans boire, guérit l’hydropisie.
La racine du plantain d’eau douce, infusée dans du vin, neutralise l’empoisonnement par l’opium et autres sucs narcotiques.
Les fumigations d’armoise bouillie, prises en bains de siège délivrent les femmes en couches du fruit mort dans leur sein.
La même plante, cuite dans du vin, et bue à petites doses, mais fréquemment, préserve les femmes du péril d’avortement.
L’anis, infusé dans du vin, avec du safran, guérit les fluxions des yeux. Des fragments de la même plante, introduits dans les narines après avoir été macérés dans l’eau, guérissent les ulcères du nez.
Les feuilles et filaments de la vigne, broyés en cataplasme, et appliqués sur l’estomac, guérissent les femmes qui, récemment enceintes, seraient tourmentées d’une faim désordonnée. Les pépins de raisin, rôtis, pulvérisés et appliqués en cataplasmes sur le ventre, guérissent de la dysenterie.
La décoction de feuilles de viorne, dans du vin, guérit l’épilepsie.
La semence d’ortie, cuite dans du vin, guérit la pleurésie et l’inflammation des poumons. Les feuilles d’ortie, broyées et appliquées sur les plaies et les ulcères, en arrêtent la gangrène. La décoction de la semence de cette plante guérit l’empoisonnement par les champignons. Le même résultat est obtenu en avalant un peu de nitre mêlé avec de l’huile. Voici d’autres vertus qui paraîtront plus étranges. Celui qui tient à la main une tige d’ortie et une tige de mille-feuille, cueillies pendant que le soleil parcourt le signe du Lion (19 juillet au 23 août), est inaccessible à la peur. Le suc de l’ortie, mêlé au suc de la serpentaire, offre aux pêcheurs à la ligne une recette merveilleuse : il suffit d’oindre sa main de cette liqueur et de la plonger dans une rivière ou un étang, pour attirer et prendre les poissons.
Le suc de pourpier, mêlé avec du vin cuit, guérit de l’empoisonnement par la jusquiame. Mâchée crue, la même plante guérit les ulcères de la bouche. Sa semence, broyée et mangée avec du miel, guérit les asthmatiques.
L’infusion de chardon bénit guérit les ulcères des poumons. L’application de sa racine, réduite en poudre très fine, guérit les ulcères du sein.
L’infusion d’angélique dans du vin guérit les ulcérations intérieures. Une pincée de cette plante réduite en poudre, avalée, en hiver, avec un peu de vin, chaque matin, préserve des épidémies qui se déclarent en cette saison. Pendant l’été, la même dose, mêlée avec un peu d’eau de roses, produit le même effet. Ses feuilles, broyées avec de la rue et du miel, puis appliquées sur la morsure d’un chien enragé, préservent de la rage.
Le suc d’aloès, mêlé avec du vinaigre, empêche la chute des cheveux.
Une forte décoction d’agnus castus, d’ache et de sauge, dans de l’eau salée, employée en frictions sur le derrière de la tête, rappelle à la vie les malades tombés en léthargie..
Porter en ceinture des tiges de genièvre, de joubarbe ou de verveine, préserve de l’attaque des vipères ou autres reptiles dangereux.
Un malade vous est-il cher, et voulez-vous savoir comment se terminera sa maladie? Prenez dans la main gauche un rameau de verveine, et, vous approchant du lit de souffrance, demandez à cette personne comment elle se trouve. Si elle répond « mal » elle guérira; si elle répond « bien » elle est en péril de mort.
La chélidoine possède, dit-on, une vertu analogue. Posez une tige de cette plante sur la tête d’un malade s’il doit mourir, il chantera; s’il doit guérir, il pleurera.
La suppression accidentelle des règles est une des plus dangereuses maladies de la femme. Pour rétablir le cours du sang, il faut prendre, en forme de thé, quelques infusions de feuilles fraîches de persil, c’est aussi un excellent remède contre les pâles couleurs.
Pour provoquer l’apparition des règles, quand elle est trop tardive, prendre de l’aigremoine, de la matricaire, et du persil coupé très menu, les mêler avec du gruau d’avoine, et faire cuire le tout avec du porc frais. Il faut boire le bouillon, mais jeter la viande.
Les dents ne se gâteront jamais, si, chaque matin, l’on fait fondre dans sa bouche trois grains de sel marin, et si l’on étend avec la langue cette dissolution sur les dents et les gencives.
La racine d’epine-vinette, ou d’oseille, ou de plantain, suspendue au cou, dissipe les écrouelles ou tumeurs scrofuleuses.
Pour guérir l’érésipèle, prenez deux onces d’huile rosat, trois onces d’huile de nénuphar, cinq onces de lait chaud d’une chèvre ou d’une vache, mêlez bien ces substances, faites-les tiédir, exprimez-les à travers un linge très-fin, et appliquez-les en compresses souvent renouvelées sur la partie malade. La farine de seigle, mêlée avec du miel et des fleurs de sureau, produit, dit-on, le même effet.
Pour guérir l’hémorragie de l’utérus, prenez sept oranges, faites-en cuire l’écorce dans trois chopines d’eau, jusqu’à réduction d’un tiers. Jetez-y du sucre, et faites-en prendre douze cuillerées, trois ou quatre fois par jour.
La décoction de feuilles de tabac, bouillie et appliquée en lotions, fait disparaître les boutons et rougeurs du visage.
Le fiel de vache, mêlé avec des coquilles d’œufs de poule que l’on fait dissoudre dans du vinaigre, efface les lentilles ou taches de rousseur qui altèrent la blancheur de la peau.
La fiente d’oie, détrempée dans du vin, guérit la jaunisse. Quelque désagréable que soit cette substance, il faut en avaler, pendant neuf jours, la grosseur d’une noisette.
Pour se délivrer des rêves érotiques, qui affaiblissent le tempérament, il faut s’appliquer sur l’estomac une lame de plomb, taillée en forme de croix.
Si une arête de poisson s’engage dans votre gosier, mettez vos pieds dans l’eau froide. Si c’est un fragment de pain qui menace de vous étouffer, mettez du même pain dans vos deux oreilles.
La fiente d’aigle, séchée, réduite en poudre et brûlée sur des charbons ardents, fournit une fumigation qui accélère la délivrance d’une femme dans les douleurs de l’enfantement.
Pour faire croître les cheveux, brûlez des abeilles; mêlez leur cendre avec de la fiente de souris, et faites infuser ce mélange dans de l’huile rosat; ajoutez-y de la cendre de châtaignes ou de fèves brûlées, et le poil naîtra sur toute partie du corps que vous oindrez de cette huile.
La fiente de coq, cuite dans du vinaigre et étendue sur une plaie empoisonnée, en absorbe le venin.
Le sang de chèvre, chauffé et mangé, guérit la dysenterie et l’hydropisie. Le fiel du même animal, mêle avec du miel et appliqué en onction, guérit la jaunisse. La tête de chèvre rôtie guérit la dysenterie. La fiente sèche, mise en poudre et appliquée sur le ventre, dissipe l’inflammation des intestins.
Vous guérirez sûrement un hydropique, si vous lui faites avaler, pendant neuf jours, dans un breuvage quelconque, la fiente, séchée et mise en poudre, d’un petit chien non sevré; mais il faut que le malade ignore la nature de ce remède.
L’onguent de fiel de lièvre, avec du suc de poireau et de la graisse de bouc, et appliqué sur le ventre, fait sortir l’entant mort du sein de sa mère.
Le foie de loup, desséché, broyé et mis en poudre dans du vin de Madère, guérit les maladies de foie.
Frottez les gencives des enfants avec de la cervelle de poule, et ils feront leurs dents sans douleur.
Appliquez aux poignets des enfants des bracelets de soie écrue, et ils n’éprouveront jamais de convulsions. Il faut laisser en place ces bracelets, et les renouveler quand ils se salissent, jusqu’à ce que l’enfant ait franchi l’époque dangereuse de la première dentition. Un autre procédé consiste à faire infuser dans du vin blanc des graines de pivoine mâle (ces graines sont noires). On en fait un collier avec une aiguille de fil de lin ou de chanvre, les graines doivent être en nombre impair.
Si vous voulez jouir d’une santé constante et atteindre les limites de la vieillesse, prenez tous les jours deux ou trois cuillerées de miel avant votre dîner. Et si, pour faire parfois diversion à la monotonie d’une santé florissante, vous voulez vous régaler d’une fièvre passagère, faites cuire un cerf-volant dans de l’huile d’olive, et frottez-vous le pouls de cette huile.
Ces petites recettes, que je pourrais multiplier, mais sans en garantir l’efficacité, ne procuraient point la fortune aux sorciers de campagne, composant la plèbe des magiciens. Plus heureux étaient ceux qui prétendaient deviner l’avenir, et qui avaient assez d’esprit naturel pour se faire une certaine réputation. Ceux-là étaient aussi plus savants que leurs confrères ; quelques-uns avaient fréquenté les écoles ouvertes dans certains couvents, et appris à lire dans les vieux manuscrits souvent même ils étaient des moines lassés de la vie claustrale, et assez habiles pour se créer un bien-être, avec l’indépendance, en exploitant la crédulité de leurs contemporains. Ils travaillaient d’après les antiques superstitions des mythologues helléniques, et voici, d’après les monuments qui nous restent des écoles néoplatoniciennes, les principaux moyens divinatoires dont ils pratiquaient la mise en œuvre.
La médecine des sorciers est encore en vigueur au fond des campagnes. Les familles s’y transmettent avec foi, et même avec succès, des remèdes que méprisent nos docteurs, mais qui n’en sont pas moins efficaces et qui opèrent, de temps en temps, des cures surprenantes: Les vertus des herbes champêtres, de la plante des bois, des simples de la montagne, sont mieux connues des paysans que de nos professeurs de botanique.
Cette science populaire des médications végétales, dont j’ai donné quelques exemples, voit ses secrets rangés, de nos jours, sous le titre uniforme de remèdes de bonnes femmes, et ce titre en constate bien l’origine, car les sorcières étaient jadis appelées bonnes ou sages femmes, expression de la gratitude ou de la crainte qu’elles inspiraient à leurs clients. Le grand et puissant docteur de la Renaissance, Paracelse, déclare qu’il faut brûler tous les livres de médecine, latins ou grecs, juifs ou arabes, et qu’il n’a rien appris que de la médecine des bonnes femmes, des bergers et des bourreaux (ceux-ci étaient souvent d’habiles rebouteurs de membres démis, et d’excellents vétérinaires).
Son traité admirable et plein de génie sur les maladies des femmes, le premier qu’on ait écrit sur ce grand sujet, si profond, si attendrissant, est sorti de l’expérience des femmes mêmes, de celles à qui les autres demandaient secours, car partout les sorcières étaient sages-femmes. Mais comment l’art secourable marchait-il de front avec le sortilège, avec l’art des maléfices ? Paracelse, qui savait tant de choses, ne répond rien à cette question. Pour lui le fait existe, et c’est assez. Il croit ou feint de croire à l’intervention du Démon, aux pactes qui peuvent nous associer à sa dangereuse puissance, aux conjurations qui soumettent les Esprits du ciel ou de l’enfer à notre volonté.
C’est pour lui le thème de dix livres écrits sous le nom d’Archidoxie, l’archiscience. Prenant la médecine vulgaire au point où les ressources lui manquent, il lui substitue gravement, pour chaque maladie, un talisman surnaturel dont il a soin de faire graver l’empreinte avec l’imperturbable assurance d’un initié convaincu. Malheureusement pour notre curiosité, et peut-être aussi pour la science elle-même, plusieurs de ses manuscrits ne nous sont parvenus qu’incomplets, des chapitres entiers ont disparu, çà et là, dans les parties les plus intéressantes de ses traités, soit qu’il les ait détruits comme d’excessives indiscrétions, soit que leur perte soit due à un simple accident.
Cet excellent Paracelse ne se bornait point à guérir magiquement les maladies les plus désespérées; il affirmait la possibilité de fixer la fortune, et d’obtenir une parfaite réussite en toutes choses. Le moyen qu’il propose est trop singulier pour que je m’abstienne de l’indiquer. « Concentrez, dit Paracelse, pendant quarante jours, dans un alambic, une suffisante quantité de sperma viri. Au bout de ce temps, vous verrez se mouvoir dans le récipient une petite forme humaine, parfaitement distincte, mais presque sans substance. Si vous nourrissez cet embryon avec un peu de sang humain, en ayant soin de le maintenir, pendant quarante semaines, à une température équivalente à la chaleur d’un ventre de cheval, vous verrez s’achever la création d’un véritable enfant, mais infiniment petit. C’est ce que nous appelons l’Homunculus, le petit homme. L’art qui lui a donné la vie, et qui sait entretenir cette vie, en fait une des plus singulières merveilles de la science humaine unie au pouvoir de Dieu. Ce petit être est doué d’intelligence, et sa naissance mystérieuse lui communique la faculté de pénétrer et de nous communiquer le secret des choses les plus cachées. » Mais Paracelse ne pousse pas plus loin ses confidences, « de peur, ajoute-t-il, des graves et funestes conséquences que pourrait avoir son indiscrétion. » Il nous apprend seulement que les artistes en magie de son temps savaient encore fabriquer avec de la terre, de la cire ou du métal, des Homunculus artificiels, dont la possession rendait invulnérable, procurait des richesses ou des honneurs, et pouvait contraindre la plus belle femme du monde à aimer éperdument un monstre de laideur. Paracelse était un personnage sérieux, fort considéré de son temps, et qui n’eut point voulu se compromettre en faisant imprimer des mensonges effrontés. Regrettons qu’il ait, tout à la fois, trop et trop peu parlé de l’Homunculus. Que la critique lui soit légère, en attendant que la science moderne ait acquis le droit de se prononcer sans appel [1].
Mais avant et après ce grand docteur, comme l’appelle M. Michelet, il y avait des recettes de bonne fortune, plus connues, plus vantées, sinon plus efficaces, que celle de l’Homunculus. Qui de nous n’a entendu parler de la mandragore espèce d’homme-racine, dont l’heureux propriétaire pouvait, disait-on, tout entreprendre, tout oser, tout conquérir, pourvu qu’il ne fît connaître à personne l’occulte serviteur de sa volonté ? Il y a encore des gens qui cherchent cette bienfaisante mandragore, comme il y en a qui croient à l’influence des maléfices, à la seconde vue des somnambules, au pouvoir fatidique des tireuses de cartes. Pour la satisfaction de ce public spécial et plus nombreux que l’on ne pense, je me décide à glaner, dans les manuscrits des XVe et XVIe siècles, quelques échantillons de sortilèges. La bibliothèque de l’Arsenal, à Paris, est assez riche en ce genre de curiosités fantastiques, dont les unes appartenaient autrefois au président de Thou, les autres au cardinal de Rohan, celles-ci au prince de Soubise, celles-là au marquis de Paulmy, etc., etc. Ces illustres personnages n’étaient assurément pas des adeptes de la Sorcellerie, mais de fort estimables et très innocents collectionneurs d’étrangetés. C’est aussi à l’Arsenal que, sous Louis XIV, siégeait le tribunal institué, sous le titre de Chambre ardente, pour juger les accusations de magie et de sorcellerie. Les grimoires dont la bibliothèque a recueilli le dépôt sont peut-être les pièces de conviction qui servaient de base et d’éléments aux procès. On sait, par les lettres de Bussi-Rabutin, que le duc de Montmorency-Luxembourg, capitaine des gardes du roi, fut décrété de prise de corps pour avoir voulu, disait-on, faire un pacte avec le Diable, par l’entremise d’un prêtre nommé Le Sage. La comtesse de Soissons, surintendante de la maison de la reine, et fameuse par la dépravation de ses mœurs, fut aussi accusée de sortilège, et contrainte de s’enfuir a Bruxelles, puis en Espagne, et enfin en Allemagne, où elle mourut. La duchesse de Bouillon, la princesse de Polignac, la duchesse de Foix, la princesse de Tingry, la maréchale de La Ferté, et d’autres femmes de qualité furent plus ou moins compromises dans des affaires de philtres amoureux et d’empoisonnements procurés par des moyens surnaturels et diaboliques. Ces accusations s’étendaient d’ailleurs à toutes les classes de la société.
Le receveur général du clergé, un certain Penautier, fut lui-même mis en cause et obligé de sacrifier la moitié de son bien pour faire supprimer la procédure [2]. Le clergé de cette époque, profondément corrompu, n’était guère capable d’éclairer la conscience des magistrats, ou plutôt il voyait dans la croyance au Diable un auxiliaire utile au maintien du prestige que détruisaient ses vices. Les poursuites à outrance auxquelles se livrait la Chambre ardente devinrent si scandaleuses, que Louis XIV fut obligé d’y mettre un terme par son ordonnance de juillet 1682; le grand roi n’était pas encore tombé sous la domination des Jésuites.
Les manuscrits dont je viens de parler contenaient-ils des secrets bien dangereux, et de nature à justifier le zèle fanatique des juges de la Chambre ardente?. C’est une question scabreuse.
La sorcellerie, tout le monde le sait, avait pour but général de procurer à ses adeptes la richesse et les honneurs. « Se faire aimer de qui l’on veut, se venger de qui vous déplaît, charmer les uns, punir les autres, s’élever au-dessus du commun des hommes, et exercer la puissance, tel était le rêve des apprentis-sorciers. » « Pour cela, dit quelque part le savant bibliophile Jacob, « rien ne coûte mais la Nature laisse difficilement saisir ses secrets, et c’est en vain que les uns allument leurs fourneaux, que les autres ouvrent leurs grimoires, évoquent les morts ou conjurent les esprits, tous ne trouvent le plus souvent que déboires, misère, infamie, mépris et tourment. Et pourtant », confesse l’auteur des Curiosités des sciences occultes, « il peut y avoir quelque vérité cachée dans ces antres obscurs ». Je prends acte de cette déclaration qui émane d’un penseur distingué, et je crois avec lui qu’en matière de sciences et d’arts occultes la sagesse consiste, peut-être, non pas à se moquer de tout, mais à chercher lentement, patiemment, avec persévérance, la vérité cachée dans les ténèbres de l’illusion.
Extrait de : P. Christian, Histoire de la magie, du monde surnaturel et de la fatalité à travers les temps et les peuples, Paris, 1870, pp. 400-450
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Notes
[1] . Theophraste Paracelse, De natura Rerum, et Archidoxorum libri decem (De la nature des choses, et dix livres des (sciences) d’Archidoxie, 2 vol , in 4°, Genève, 1658, Bibliothèque Ste Geneviève, Paris, R. 9f.
[2] . Voltaire, Le Siècle de Louis XIV, Éditions Plancher 1817, p. 310 et suiv,
Du Laure, Histoire physique, morale et politique de Paris, t. IV. Paris sous Louis XIV.
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Illustrations :
– La couronne des mages, in P. Christian Histoire de la magie du monde surnaturel et de la fatalité à travers les temps et les peuples, Paris, 1870, p. 128.
– Les sept merveilles du monde, in Éliphas Lévi, L’Histoire de la magie, Paris, 1860, p. 173.
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