Les mystères des pyramides – 2è épisode

vignetteL’initiation

« Tourne ta face vers le Soleil de Justice, et la science du vrai te sera donnée. Garde le silence sur tes desseins, afin de ne point les livrer à la contradiction des hommes. »

Le Sphinx de Giseh, dit l’auteur du Traité des mystères servait d’entrée aux souterrains sacrés dans lesquels étaient subies les épreuves du Magisme. Cette entrée, obstruée de nos jours par les sables et par des décombres, se dessine encore entre les jambes antérieures du colosse accroupi. Elle était fermée, autrefois, par une porte de bronze, dont le ressort secret n’était connu que des Mages, elle avait pour garde le respect public, et une sorte de crainte religieuse maintenait mieux son inviolabilité que n’eût pu le faire une protection armée. Dans le ventre du Sphinx se creusaient des couloirs communiquant avec la portion souterraine de la grande Pyramide ; ces couloirs s’entre-coupaient avec tant d’art, le long du trajet qui sépare les deux monuments, qu’en s’engageant, au hasard, et sans guide, dans leur inextricable réseau, l’on revenait sans cesse, fatalement, au point d’où l’on était parti. Il avait fallu une énorme puissance de travail pour ouvrir dans le massif granitique ce mystérieux labyrinthe, et une telle œuvre prouve assez que les mécaniciens de l’antique Égypte n’étaient point au-dessous des savants ingénieurs qui creusent aujourd’hui les tunnels de nos voies ferrées.

Les deux premiers initiés, par rang d’âge, revêtus du grade de Thesmothète ou gardien des rites, avaient mission d’amener, de nuit, l’étranger postulant qu’un vote unanime admettait aux épreuves. Celui-ci devait se livrer à la discrétion de ses conducteurs, écouter leurs avis comme des ordres, et s’interdire toute question. Dès sa sortie de Memphis, on lui bandait les yeux, afin qu’il ne put se rendre compte de la distance qu’on lui faisait parcourir, ni du lieu secret dans lequel il serait conduit. Supposons maintenant que le drame des épreuves souterraines se déroule au moment ou j’essaye de le raconter, et suivons-le pas à pas.
Le postulant, la face voilée, est amené au pied du Sphinx. La porte de bronze s’ouvre, et se referme sans bruit, sous la main qui a pressé la détente de son mécanisme intérieur. L’un des Thesmothètes prend une lampe suspendue à la muraille, et marche en avant pour éclairer la route; le second conduit par la main le postulant, et lui fait descendre un escalier en spirale qui compte vingt-deux degrés. Au bas du dernier degré s’ouvre et se referme une nouvelle porte de bronze, donnant accès dans une salle circulaire. Le côté intérieur de cette porte est couvert d’un enduit granitique dont la teinte s’harmonise avec celle des parois, et ne laisse plus reconnaître la portion de surface dans laquelle se découpe l’entrée. C’est ici que commence la mise en scène des épreuves. Les deux Thesmothètes arrêtent brusquement le postulant, et lui font croire qu’il est au bord d’un abîme ou un pas de plus peut le précipiter. « Cette profondeur, lui disent-ils, entoure le temple des Mystères, et le protège contre la téméraire curiosité des profanes. Nous arrivons un peu trop tôt, nos frères n’ont point encore abaissé le pont mobile par lequel les initiés communiquent avec la terre sacrée. Attendons leur venue; mais si tu tiens à ta vie, demeure immobile, croise tes mains sur ta poitrine, et ne détache point ton bandeau jusqu’au signal d’avancer qui te sera donné quand il en sera temps. »
Le postulant sait que, dès cette heure, il ne s’appartient plus, et qu’une obéissance passive est devenue sa loi pour traverser les périls par lesquels on éprouvera sa force d’âme et la mesure de l’empire qu’il peut exercer sur lui-même. Il se soumet à cette condition d’obéissance qui lui a été posée, et qu’il a librement acceptée avant de se mettre en route avec ses guides ; il est fort de son intelligence, de sa volonté, de son ardent désir de connaître les mystères dont la clef est promise à sa docilité et à sa persévérance; mais, quelque fort qu’il soit, il a des sens, et les sens frissonnent au seuil des choses inconnues.
Pendant qu’il se roidit contre cette première émotion, les Thesmothètes prennent sur un autel deux robes de lin blanc, deux ceintures, l’une d’or, l’autre d’argent, et deux masques figurant, l’un une tête de lion, et l’autre une tête de taureau. La robe est l’emblème de la pureté du Mage; l’or est consacré au Soleil, l’argent à la Lune; la tête de Lion symbolise le signe zodiacal que le langage astrologique assigne pour trône au Génie du Soleil, la tête de Taureau symbolise le signe zodiacal dans lequel le Génie de la Lune exerce sa plus puissante influence. Les Thesmothètes revêtus de ces mystérieux attributs, sont donc la représentation des deux Génies égyptiens Pi-Rhé et Pi-Ioh, qui gouvernent les évolutions du Soleil et de la Lune, les deux astres auxquels le Magisme attribuait l’action la plus directe sur la création, la dissolution et le renouvellement des êtres terrestres. Ce symbolisme exprimait encore que l’étude des lois de la nature visible est le premier degré d’ascension vers la plus haute illumination de l’esprit. Mais le sens des signes matériels ne devait se révéler au postulant qu’au-delà des épreuves accomplies.
Aussitôt que les Thesmothètes se sont masqués, une trappe s’abaisse à grand bruit dans le sol, et livre passage à un spectre mécanique qui sort à moitié de l’excavation en brandissant une faulx, une voix lugubre crie de dessous terre : « Malheur au profane qui vient troubler la paix des morts ! » En même temps, le bandeau du postulant arraché par une des Thesmothètes le met face à face avec les trois figures monstrueuses qui tentent sa première défaillance. Si, malgré l’horreur de cette surprise, il est assez courageux pour ne point s’évanouir devant la faulx dont le tranchant l’effleure sept fois par un rapide mouvement de va-et-vient, le spectre disparaît, la trappe se referme, les Thesmothètes se démasquent et le félicitent de son courage. « Tu as senti », lui disent-ils, « le froid du fer meurtrier et tu n’as point reculé ; tu as contemplé l’épouvante, et ton regard l’a défiée : c’est bien. Dans ta patrie tu pourrais être un héros admiré de tous et voué aux hommages de la postérité. Mais, parmi nous, il est une vertu plus haute que le courage viril, c’est l’humilité volontaire qui triomphe du vain orgueil. Es-tu capable d’une pareille victoire sur toi-même? »
Le postulant, pleinement rassuré par la bienveillance de ses guides, croyait l’épreuve physique terminée et s’offrait de lui-même aux épreuves morales. « Eh bien », lui disait-on, « il faut te soumettre à ramper terre à terre, jusqu’au milieu du sanctuaire où nos frères t’attendent pour te donner la science et le pouvoir en échange de l’humilité. Veux-tu te soumettre à ce pénible voyage? »
Le postulant acceptait encore. « Prends donc cette lampe », ajoutaient les initiateurs, « c’est l’image du regard de Dieu qui nous suit quand nous marchons cachés aux regards des hommes. Va sans crainte, tu n’as à redouter que toi-même dans l’épreuve de la solitude. »
Tandis qu’il recevait de l’un des Thesmothètes la lampe conductrice, l’autre touchait un ressort dissimulé à fleur de muraille, et dont le jeu faisait mouvoir une plaque de bronze derrière laquelle s’ouvrait un couloir en forme d’arcade, mais si étroit et si bas qu’il n’était possible de s’y glisser qu’en se traînant sur les genoux et sur les mains. « Que ce chemin, » disaient les Thesmothètes, « soit pour toi l’image du tombeau dans lequel tout homme doit se coucher, au soir de la vie terrestre, pour se réveiller, affranchi de la matière ténébreuse, dans l’éternelle aurore de ta vie des Esprits. Tu as vaincu le spectre de la Mort, va triompher des épouvantements du sépulcre.»
Le postulant semblait-il hésiter à s’engager la tête la première dans ce trou sinistre, les Thesmothètes ne devaient ni lui reprocher sa faiblesse, ni l’encourager à poursuivre l’épreuve. Ils attendaient en silence, pendant quelques minutes, la main droite étendue vers l’ouverture du couloir, en signe de commandement à l’obéissance passive et si le postulant ne se décidait point, on lui revoilait la face pour le reconduire hors du lieu sacré. La loi du Magisme ne permettait point qu’il fût admis plus tard à renouveler l’épreuve; son impuissance était jugée. S’il se soumettait franchement, les Thesmothètes lui donnaient le baiser de paix en lui souhaitant, bon voyage. Dès que son corps avait disparu dans le tube de granit, la plaque de bronze qui lui avait livré passage retombait derrière lui avec un fracas métallique, et une voix lointaine criait « Ici périssent les fous qui ont convoité la Science et le Pouvoir!… »

Cette lugubre parole que, par un merveilleux effet d’acoustique, répètent sept échos distancés, frappe d’une violente secousse la raison du postulant. Serait-il victime de son imprudente confiance? Les Mages condamnent-ils à mort tout étranger qui aspire à pénétrer leurs mystères? mais alors, pourquoi ne l’ont-ils point frappé de la faulx? Pourquoi l’ensevelir vivant? Pourquoi lui laisser une lampe? L’indécision se mêle à la terreur, comme pour lui faire savourer la menace de la plus longue agonie. Cependant il se traîne encore en avant, et remarque, avec un trouble de plus en plus anxieux, que la direction du tube suit une pente qui s’enfonce toujours dans les profondeurs de la terre. Jusqu’où se prolonge cette pente, et si la petite lampe venait à s’éteindre, que deviendrait l’infortuné dont elle est l’unique ressource?
Il rampe, rampe encore. Tout à coup, le tube semble se dilater, s’élargir; la voûte se hausse, mais la pente inférieure, descendant toujours, finit au bord d’un vaste cratère, taillé en forme de cône renversé, dont les parois sont revêtues d’un ciment si poli, qu’aux tremblantes lueurs de la lampe on les croirait d’acier. Une échelle de fer succède au tube et s’enfonce dans une ombre insondable. En face, l’inconnu plein de périls en arrière, la retraite interdite, et entre ces deux menaces, une inertie pleine d’angoisse, avec la mort en perspective, il y a de quoi rendre fou le plus stoïque philosophe. La raison donne cependant un dernier conseil, c’est d’avancer, pas à pas, jusqu’aux limites du possible.
L’échelle de fer compte soixante-dix-huit points d’appui. Arrivé sur le plus bas, le postulant reconnaît, avec une nouvelle terreur, que le cône se termine par un puits béant, qui l’attire comme le dernier secret d’une implacable fatalité. Frissonnant d’une suprême épouvante, mais appelant à son aide la dernière force que peut prêter le désespoir, il remonte en rampant sur quelques échelons, et dévore du regard le court espace ou se projette la faible lueur de la lampe. A sa gauche il entrevoit une crevasse qu’il n’avait point aperçue pendant la descente ; cette crevasse est de la largeur d’un homme. Cramponné d’une main à l’échelle, et, de l’autre, portant sa lampe en avant, il y découvre des degrés sans doute, c’est un chemin, mais où mène-t-il ?. En tout cas, il éloigne du gouffre; son premier degré n’est pas vainement un lieu de sûreté, une étape de repos. L’espérance et la foi se raniment dans le cœur du postulant; il a sans en deviner les moyens, l’instinct d’une prochaine délivrance; il se reproche d’avoir accusé les Mages, et se rappelle leur avertissement « Va sans crainte, tu n’as à redouter que toi-même dans l’épreuve de la solitude. »

Après quelques minutes de réflexions qui rendent la sérénité à son intelligence, il se relève et s’engage dans la crevasse, en assurant chacun de ses pas sur les étroits degrés. Ce chemin tourne en spirale, et perce le roc comme ferait une vrille. Au pied du vingt-deuxième degré se dresse une grille de bronze, à travers laquelle le postulant aperçoit une longue galerie, soutenue par des cariatides sculptées qui figurent vingt-quatre sphinx, douze à droite et douze à gauche. Dans chaque espace séparant deux sphinx, la muraille est revêtue d’une peinture à fresque, représentant des personnages et des symboles mystérieux.
Ces vingt-deux tableaux se font face deux à deux, et sont éclairés par onze trépieds de bronze, rangés sur une ligne qui partage dans sa longueur le milieu de la galerie. Chaque trépied porte-un sphinx de cristal dans lequel brûle une mèche d’amiante, à la surface d’une huile embaumée. Un Mage, qui porte ici le nom de Pastaphore (gardien des symboles sacrés), vient ouvrir la grille au postulant. « Fils de la Terre, » lui dit-il en souriant, « sois le bien venu. Tu as échappé au piège de l’abîme en découvrant le chemin des sages. Peu d’aspirants aux Mystères ont, avant toi, triomphé de cette épreuve; les autres ont péri. Puisque la grande Isis te protège, elle te conduira, je l’espère, sain et sauf, jusqu’au sanctuaire où la vertu reçoit sa couronne. Je ne dois point te cacher que d’autres périls t’attendent, mais il m’est permis de t’encourager en t’expliquant ici des symboles dont l’intelligence crée autour du cœur de l’homme une armure invulnérable. Viens contempler avec moi ces images sacrées; écoute ma parole avec recueillement, et, si tu sais la fixer en ta mémoire, les rois du monde, quand tu remonteras sur la terre, seront moins puissants que toi. »

[À suivre]

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Illustration : La gravure qui illustre cet épisode est tirée de l’ouvrage de William Fix & Dorothée Koechlin de Bizemont, Edgar Cayce : La grande pyramide et l’Atlantide, Éditions du Rocher, 1990, 312 p.

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