Médecine et philosophie chez Paracelse

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Si nos présents écrits voient jamais le jour, je suis persuadé que la plupart de mes lecteurs seront fort étonnés par les insignes vertus cachées à l’état latent dans les métaux préparés par un artifice manuel. D’aucuns les tiendront pour superstitieuses, magiques, supernaturelles ; d’autres les rangeront parmi les pratiques abominables et idolâtriques, comme si leur préparation nécessitait des conjurations diaboliques. Voici quel sera leur raisonnement : Comment donc des métaux portant gravés des caractères, lettres et signes de même genre, peuvent-ils avoir des vertus, si une œuvre diabolique n’intervient pas dans leur préparation? Je leur répondrai de la sorte : Croyez-vous donc comme j’entends, que de telles choses accomplies par l’œuvre du Diable posséderaient leurs vertus et facultés d’opérer? Ne croyez-vous donc pas le Créateur de la Nature, Dieu, habitant dans les cieux, capable lui aussi d’induire et de conférer les vertus et facultés d’opérer de ce métal ainsi préparé, aux racines, herbes, pierres et autres choses semblables? Comme si le Diable était plus fort, plus ingénieux, plus omnipotent, plus puissant que le Dieu unique éternel, omnipotent, miséricordieux qui, pour le salut et la commodité de l‘homme, créa et fit jaillir par gradation ces métaux, pierres, herbes, racines et autres choses semblables, qui vivent et croissent dans et sur la terre, dans les eaux et dans l‘air ? De plus, il est très certain, et l’expérience l’a mis en lumière, que le cours du temps exerce des forces et des actions différentes, surtout si des métaux déterminés sont fondus ensemble et travaillés à des époques spéciales. J’ai dit que cela se constate et se met en évidence expérimentalement de beaucoup de manières. Personne ne peut
démontrer que les métaux soient morts et privés de vie. En effet, leurs huiles, sels, soufres, et quintessences, – lesquelles sont leur plus pure Réserve, – ont une très grande force pour activer et soutenir la vie humaine, et l’emportent en cela sur tous les corps simples; c’est ce que nos remèdes mettent en évidence. En tout cas, si ces corps étaient privés de vie, comment, je vous prie, pourraient-ils opérer la résurrection, la restitution au seuil de la mort, dirai-je, d’une force fraîche et pleine de vie dans des membres, dans des corps humains malades et presque mourants. En effet, cela est notoire, chez des gens évanouis, des personnes à l‘état de crise, des calculeux, des syphilitiques, des hydropiques, des épileptiques, des maniaques, des podagres, et chez tous les autres que le souci d’être bref me fait omettre. Or je l’affirme audacieusement, les métaux, les pierres et les racines, les herbes et tous les fruits sont riches de leur propre vie, à cette différence près que le moment (astrologique) intervient pour le travail et la préparation des métaux. Le temps possède, en effet, une force et une efficacité manifestes : de nombreux arguments sont là pour l’enseigner: la connaissance qu’en a le public nous permet de les passer sous silence. Nous avons, en effet, décidé d’exposer ici non ce qui est banal et de notoriété publique, mais seulement des sujets difficiles, incompréhensibles, heurtant même le bon sens.

Paracelse

Eux aussi, les signes, les caractères et les lettres ont leur force et leur efficacité. Si la nature et l’essence propre des métaux, l’influence et le pouvoir du Ciel et des Planètes, la signification et la disposition des caractères, signes et lettres, s’harmonisent et concordent simultanément avec l’observation des jours, temps et heures, quoi donc, au nom du ciel, empêcherait qu‘un signe ou sceau fabriqué de la sorte ne possédât sa force et sa faculté d’opérer? Pourquoi ceci en temps utile ne servirait-il à la tête, ou cela n’accommoderait-il la vue ? Pourquoi telle autre chose ne serait-elle de bon usage pour le calcul des reins? Et pourquoi même ne soulagerais-tu pas ainsi ceux qui fatiguent leur corps à force d’ingérer d’autres remèdes? Cependant, rien ne doit être exécuté ou espéré sans l’aide et le secours du Père même de la médecine, Jésus-Christ, le vrai et unique médecin.
Les autres protestent et objectent que les paroles et les signes n’ont aucune force, qu’il n’y en a aucun d’efficace, à part la croix, lorsqu’ils ne sont simplement que figures et caractères. Ils allèguent, en outre, que le mot grec οθοχυνδοξ ne signifie pas autre chose qu’en latin serpentes occidere, et que chez les Allemands Ignisz est le même mot qu’ardens pour les Latins. Dis-moi donc pourquoi le serpent en Helvétie, Algorie, Suévie, comprend le mot grec Osy, Osya, Osy, etc., encore que ni chez les Helvètes, ni chez les Algoriens, ni chez les Suèves, le grec ne soit vulgaire au point que les serpents puissent l’entendre parler! Mais dis-moi donc, où, comment, par quelles causes les serpents comprennent ces mots? Dans quelles académies les ont-ils appris pour que, le mot à peine entendu, ils retournent aussitôt leur queue pour boucher leurs oreilles, afin de pas l’entendre de nouveau? A peine ont-ils ouï ce mot, nonobstant leur nature et leur esprit, ils restent immobiles, ne blessent et n’empoisonnent personne de leur morsure venimeuse; d’autre fois, à peine un bruit de pas humain frappe t-il l’oreille que, soudain, ils s’enfuient et retournent vers leur caverne. Tu me répondras: la nature a fait cela; c’est bien. Je ne te demanderai qu’une chose : La nature, ayant fait cela contre les serpents, ne pourrait-elle faire des choses semblables pour d’autres animaux? Tu me diras autre chose, que la terreur entre en jeu, et qu’elle fait craindre aux serpents effrayés la vue de l’homme, les stupéfie et les tient immobiles ; tu me diras aussi que le serpent restera également immobile, si l’homme s’avance à grand fracas, criant, menaçant, ou faisant tout autre bruit. D’où il appert que les caractères, les mots, les sceaux ont en eux-mêmes une force secrète en rien contraire à la nature et n’ayant aucun lien avec la superstition. Poursuivras-tu que ce ne sont pas les paroles en elles-mêmes, mais la clameur concurrente de l’homme qui produit de tels effets ? Je te contredirai ouvertement. Si tu écris, en temps favorable, ces seules paroles sur du vélin, du parchemin, du papier, et que tu les imposes au serpent, celui-ci n’en restera pas moins immobile que si tu les avais prononcées à haute voix. En outre, il ne doit pas le paraître extraordinairement impossible et incroyable que la médecine puisse soulager l’homme, non par voie d’absorption, mais en se portant suspendue au cou à la manière et coutume d’un sceau. Tu vois s’opérer un fait semblable dans la vessie par l’action des cantharides. Si tu tiens à la main des cantharides, l’urine devient sanguinolente; la vessie réceptacle de l‘urine, a beau être enfouie au plus profond du corps, et la main hors du corps être fort éloignée de la vessie.

Qu’il y ait quelque force même dans les choses mortes, l’exemple de l’alcyon me servira de preuve. Si tu dépouilles l’alcyon mort de sa peau, tu la verras, même desséchée,
abandonner chaque année ses vieilles plumes et en produire de nouvelles de la même couleur. Ce n’est pas une année seulement, mais plusieurs de suite que tu pourras,
remarquer ce fait. Tu me demanderas, chez quel écrivain, chez quel auteur j’ai lu ces choses, où j’ai découvert l’existence réelle de ces faits. O sophiste, contempteur des choses divines, voici comment je te répondrai : Dis-moi donc, je t’en serai reconnaissant, qui inspira à l’ours, chaque fois qu’il sent sa vue obscurcie par un afflux immodéré de sang, d’aller en hâte vers les ruches et de rechercher les piqûres et les blessures des abeilles pour ses veines gonflées, jusqu’à ce que l’extraction d’une certaine quantité d’humeur et de sang lui rende l’acuité de la vue? Qui enseigna au cerf que le Dictame lui était médicament ? Qui montra la serpentaire au serpent, au chien que le gazon était thériaque et purge ? Qui instruisit le héron de puiser avec son bec de l’eau marine et de se l’administrer par l’anus eu guise de clystère ? Ils sont en vérité innombrables les animaux qui connaissent et pratiquent chacun la cure de sa propre maladie. D’où prétends-tu qu’ils aient tiré ces artifices ? Tu me diras que ce sont instincts de nature : je te louerai et t’approuverai. Toutefois, si la Nature aide aux animaux, combien n’aide-t-elle pas davantage à l’homme. Fait à l’image du créateur des choses universelles. il reçut en sus un cerveau raisonnant pour méditer et tirer parti de toutes ces choses. Au reste, il est faux et téméraire d’avancer que les éléments étrangers à l’homme ne guérissent en rien ses maladies. Le soleil, en effet, qui nous apporte splendeur et lumière, pénètre tellement les choses même cachées, qu’il chauffe vivement les cavernes et les endroits les plus retirés.
Personne ne le niera, au printemps, les parties terrestres les plus secrètes prennent chaleur de partout : le soleil cependant ne répand sa lumière que sur les choses élevées
et suréminentes. De là vient la force, le suc, une nouvelle vie en quelque sorte pour tout ce qui croît. Le renouveau de la Nature et, l’influence réunie des astres célestes et des planètes, joints aux autres remèdes que nous tirons des métaux, des herbes, des pierres et autres semblables, ne pourraient-elles donc pas servir dans l’intérieur du corps soit pour les membres cachés, nerfs ou veines, soit pour les maladies elles-mêmes qui se collectent dans la chair et, le sang de l’homme et se produisent partout, suivant des causes variées avec la marche du temps ? De même que les maladies et accidents sont variables, les cures et traitements qui leur sont opposés d‘après la nature, le temps et le jour sont différents.

Ce qui est contraire aux maladies, les métaux par exemple, est différent en des temps différents en raison directe de la préparation et de l’usage. Si je combats la lèpre par l’or, qu’est-ce qui m’empêcherait de chasser le mal avec de l’huile à base d’or appliquée sur la lèpre ? Si je frictionne avec de l’huile de mercure pour guérir la syphilis, ce remède ne la guérira-t-il pas? A cette différence près, toutefois, que le temps opportun sera observé et calculé avec soin. Sans cette précaution, en effet toute lotion devient inutile. Et quoique j’eusse baigné tout entier dans l’huile de mercure, il faut encore ajouter d’autres remèdes que les forces du mercure contrarient en quelques cas; sinon, non seulement l’observation du temps, mais tout le travail et l’opération de la friction seraient nuls, et le malade resouffrirait encore comme auparavant.

Paracelse-2

Il est absolument vrai que les astres supérieurs et leurs influences infligent aux hommes la plupart des maladies et les font pénétrer dans leur corps. Cependant, elles n’envahissent ni violemment, ni même sensiblement au point de les ressentir sur-le-champ, ainsi que la venue de l’épilepsie par un choc ou une peur; mais on les gagne peu à peu, insensiblement, jusqu’à ce que le mal gagné prenne corps: telle l‘huile qui distillée goutte à goutte, ne devient sensible que lorsqu’elle est suffisamment amassée pour que le poids soit appréciable. C’est de la sorte que l’homme prend conscience de son mal, soit par la paralysie des membres, soit par le manque d’appétit, soit par l’aversion de tout breuvage, bref par n’importe quelle affection d’après la nature et le tempérament de chacun, selon la mise en action des astres par un long délai de temps, avec l’auxiliaire des autres accidents prépares par l’attraction de l’air.

De la céphalée ou douleurs de tête

Les douleurs de tête sont multiples ; nous-mêmes, nous prenons les unes en mangeant ou buvant immodérément. Les autres prennent leur source dans les malignes exhalaisons ou vapeurs provenant des aliments mal cuits et montant de l’estomac au cerveau, etc. Nous les passerons sous silence et nous occuperons seulement des douleurs de tête les plus cruelles et les plus graves.

Contre le mal caduc ou épilepsie

Il nous faut dans cette maladie, observer avec attention si l’épileptique tombe en crise chaque mois, et aux mêmes jour et heure, et combien de fois ; s’il tombe pendant un temps égal ou inégal, s’il titube quelque temps avant la chute, ou s’il s’abat comme une masse, tout d’un coup. Ces observations faites, cherches-en la raison : si c’est à des heures déterminées qu’il tombe, il ne le fera pas le moins du monde, tout d’un coup et en un moment; mais si cet événement se produit à des heures et à des moments indéterminés, il adviendra certainement le contraire, qu’il tombera subitement et d’un seul coup. Le premier genre d’Épilepsie est mortel, le malade est en danger surtout si la chute est précédée d’un peu de tremblement, comme s’il y avait pressentiment du mal. Mais l’Épilepsie qui abat d’un coup le malade n’est pas la plus mauvaise, c’est au contraire la plus guérissable. La première est naturelle, la seconde n’a rien de commun avec la nature, et ne détruit pas la complexion de tous. La première accable ou obscurcit l’esprit ou les sens, non pas la seconde.

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Extrait de :
Paracelse, Les sept livres de l’Archidoxe magique ; traduits en français, précédés d’une introduction et d’une préface par le Docteur Marc Haven, 1983 (?).

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Illustrations

  • Louis Figuier, Les savants illustres de la Renaissance, 1868.
  • Paracelse, Les sept livres de l’Archidoxe magique.

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Une réflexion au sujet de « Médecine et philosophie chez Paracelse »

  1. bagan

    Ils sont impressionnants, ces remèdes et observations de Paracelse ;
    c’est une vision globale de l’univers, où nous sommes à la fois singuliers et connectés au monde; à la fois tout petits et importants.
    Merci d’avoir remis à la lumière du jour ces vieux textes si jeunes!

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