L’École des va-nu-pieds

Vaincre la pauvreté

Muhammad Junus a inversé la vision du monde quant à la pauvreté à la quelle étaient confrontés les paysans de son pays, le Bangladesh. Quand tous les experts d’institutions internationales comme l’ONU, le FMI, BM, etc. fuyaient le problème sous des prétextes aussi variés qu’hypocrites, M. Yunus quitta son université où il enseignait l’économie (en brassant des millions de dollars dans ses cours) pour trouver des solutions à ce problème social. Quand les banques ne prêtent qu’aux riches (ceux qui ont les moyens potentiels de rembourser) M. Yunus a mis au point un système de prêts accordés uniquement aux femmes, oui pas aux hommes car ce sont les femmes qui sont les vrais responsables de l’économie familiale. Le système a fait merveille : ce que ces pauvres avaient besoin pour démarrer c’était un micro capital de départ (parfois de l’ordre que quelques dollars pour beaucoup) pour créer une micro entreprise, ces femmes ont trouvé dans le système de micro-crédits une réponse à leurs problèmes. Non seulement le système, la Grameen Bank, ne s’est pas cassé la figure comme le pouvaient penser tous les experts bancaires et financiers (car les pauvres n’ont pas les moyens de rembourser c’est pourquoi on ne voulait pas leur prêter ne serait-ce qu’un centime) mais il est devenu viable : la quasi-totalité des emprunteuses remboursaient leurs prêts qui allaient aider les autres, tandis que les banques des riches se retrouvent souvent avec des problèmes de non-remboursement. M. Yunus s’est au bout de quelques décennies retrouvé à la tête d’un système bancaire qui ne brasse pas des milliards de dollars à la seconde, mais efficace contre la pauvreté, son autorité et le système de micro-crédits se sont propagés dans le monde entier. Sa célébrité n’est plus à faire puisqu’il a reçu le prix Nobel de la Paix en 2006 en tant que banquier des pauvres, mais notons au passage que la Grameen bank n’appartient pas à M. Yunus mais à des millions d’épargnantes qui sont des paysannes pauvres.

Cette vision du monde ne serait pas complète sans une autre expérience dans le même ordre d’idées. Tandis que la Grameen bank opère dans le domaine économique, un autre contemporain de M. Yunus, Bunker Roy, a fondé des centres de formation pour accueillir des paysans pauvres de l’État du Rajasthan dans le nord-ouest de l’Inde, souvent confrontés aux calamités climatiques comme sécheresse. Ce fils de milieu aisé qui avait tout pour réussir dans la vie a pourtant décidé de s’engager, contre la volonté de sa famille, chez les paysans pauvres pour essayer de trouver des solutions à leurs problèmes. Au bout de plusieurs années passées auprès d’eux à creuser des puits, à travailler comme un vrai paysan, Bunker Roy a compris l’idée qu’il faut faire confiance aux potentiels des paysans : leurs expériences et leurs connaissances héritées des millénaires (qui ne se monnayent pas sur la place des bourses du monde des affaires), leur volonté de s’en sortir, leur esprit de solidarité en tant qu’être social. Bunker Roy a donc fondé des écoles pratiques orientées vers le bien être des paysans : alphabétisation, formation de techniciens et d’ingénieurs dans le domaine des énergies renouvelables notamment le solaire, l’habitat, l’eau, la santé, l’artisanat. Ce système de formation a aussi pour socle les idées du Mahatma Gandhi qui prônent l’égalité homme-femme, la participation de tous à la vie collective du village, une formation basée sur la pratique et non la théorie, le soin envers les ressources pour ne pas les gaspiller, technologie au service des habitants.

En quelques décennies d’existence, le village de Tilonia du district d’Ajmer où Bunker Roy a fondé en 1972 les premières écoles 1 s’éclaire à l’énergie solaire, la cuisine se fait aussi grâce à l’énergie solaire, les eaux de pluies sont récupérées puis canalisées vers divers besoins (irrigation, consommation quotidienne, etc.) le tout grâce aux capacités des villageois eux mêmes devenus qui technicien, qui dentiste, qui ingénieur, etc. Les enfants sont intégrés dans ce système de responsabilité collective. Tilonia est devenu le centre de formation dans le domaine du développement durable en rupture de banc avec les règles du système économiques libéral ambiant : on y trouve tout un foisonnement d’ateliers d’artisanat (menuiserie, tissage, broderie, confections, etc), des initiatives difficiles à imaginer si on restait prisonnier des idées du monde où la rentabilité est le maître-mot aux dépens de l’humain. Ce modèle rayonne dans toute l’Inde et en passe de se répandre dans le monde entier. À l’heure actuelle Bunker Roy voyage partout pour faire connaître ses idées et ses réalisations qui ont sauvé une partie du paysannat indien. Ces écoles des va-nu-pieds qui acceptent les paysans venant d’autres parties du monde pour les former ont une particularité, elles refusent ceux et celles qui sont déjà passés par des cursus scolaires ou universitaires traditionnels, qui représentent plus qu’un handicap qu’un atout car les formations conventionnelles deviennent des freins à des initiatives non conventionnelles. Cette belle expérience redonne de l’espoir à l’espèce humaine trop longtemps écrasée par le discours dominant faisant des pauvres les incapables bons à être ignorés.

Si certains accusent le fondateur de ces écoles d’être contre la science et plus grave encore d’être maoïste, ce ne sont que des procédés d’amalgame vieillis et usés à ne plus étonner personne. Certes, dans les décennies 1960 et 1970, dans la Chine maoïste, on a fait table rase des conventions sociales qui étaient considérées comme des freins aux initiatives révolutionnaires. Sur cette lancée on a créé des médecins aux pieds nus en leur donnant une formation nécessaire pour venir au secours des paysans des villages éloignés des centres urbains et dépourvus de structure médicale. L’école des va-nu-pieds fait allusion à cette initiative de l’ère maoïste et c’est sans doute cette allusion qui a créé des problèmes à Bunker Roy. De leur temps Bouddha et Jésus ont aussi été critiqués par leurs détracteurs, était-ce une preuve que leurs idées étaient une création du diable ? Il faut laisser aboyer les chiens, la caravane doit passer !

Le libéralisme cherche à mettre des bâtons dans les roues de tout ce qui pourrait devenir une alternative au modèle dominant,  allant jusqu’à sa destruction. Les démêlées judiciaires de l’association Kokopelli avec ses détracteurs, des semenciers qui sont des complices de grosses firmes agro-industrielles, la criminalisation reposant sur l’accusation d’être des sectes d’associations et de groupes qui veulent sortir du libéralisme, de la consommaton de masse abêtissant, la tentative de confisquer les connaissances traditionnelles en matière des plantes médicinales en interdisant leur usage, les tentatives de vol des biens communs comme le brevetage du riz basmati, la tromperie sur le non étiquetage des produits contenant des OGM, la marginalisation du professeur Beljanski qui a trouvé des remèdes à base de plantes contre le cancer, ne sont là que quelques exemples connus du grand public de ce dont le système libéral est capable. Quand les gens commencent à se dresser contre cette domination, le système cherche par tous les moyens à les neutraliser. Mais comme Abraham Lincohn a de son temps rétorqué à ses détracteurs : Vous pouvez tromper quelques personnes tout le temps. Vous pouvez tromper tout le monde un certain temps. Mais vous ne pouvez tromper tout le monde tout le temps.

La Gramen bank et l’école des va-nu-pieds qui ont eu lieu parallèlement et à la même époque sur le sous-continent indien prouvent aussi par ailleurs que si la pauvreté existe dans nos sociétés, elle n’est pas un problème insurmontable, sans solution comme on a l’habitude de le répéter à toute occasion, mais qu’elle n’intéresse personne, personne ne trouve de l’intérêt, dans le sens propre, à se lancer dans cette voie « sans profit ». À travers ces réalisations à dimension humaine :

  • On voit aussi où vont les intérêts des gens, l’indifférence de ceux qui nous gouvernent devant ce problème pour ne pas dire plus. Un dicton français ne dit-il pas qu' »on n’est jamais mieux servi que par soi-même ? ». Il est grand temps que chacun, surtout les délaissés, déclassés, marginalisés des sociétés industrielles (qui ne sont que les conséquences du système économique libéral pour ne pas dire une création) et les paysans pauvres des pays du Sud, reprenne sa vie en main au lieu d’attendre une hypothétique solution à ses problèmes qui viendrait d’ailleurs grâce à une baguette magique du monde riche, qui est riche aussi, il faut le dire de misère, d’indifférence, d’hypocrisie et de cruauté.
  • On voit aussi les limites pour ne pas dire l’incapacité des experts internationaux qui vivent dans des « palais » au mieux des gens misérables. Non, ce ne sont pas des incapables mais leurs capacités sont captées par autres choses, et leur rôle ne consiste pas à éradiquer la pauvreté car ce ne sont que de simples exécutants des officines légales des pays riches qui font croire aux autres qu’ils ont bonne conscience, mais leur but est ailleurs. Pour ceux qui ont encore des doutes sur la cruauté des gouvernements, la paupérisation des classes moyennes états-uniennes qui s’enfoncent de plus en plus dans la misère depuis la crise de 2008 (puisque 50 millions de personnes survivent grâce aux tickets-alimentaires délivrés par par les services sociaux), l’après-passage du cyclone Katrina en 2005 en Nouvelle-Orléans et le désarroi de la population pauvre, pour la plupart non-blancs sont là pour nous faire comprendre jusqu’à quel point l’indifférence à la misère des autres pour ne pas dire plus, n’est pas de l’ordre du fantasme des illuminés. La société va à vau-l’eau mais par ailleurs les gouvernants trouvent des moyens financiers et militaires pour faire la guerre à l’autre bout du monde à ceux qui leur déplaisent tout simplement. Les criminels financiers sont protégés et aidés avec l’intervention des gouvernements pour sauver leurs banques en faillite alors que leurs victimes sont ignorés.

Espérons que les témoignages de Muhammad Junus et de Bunker Roy vont finir par emporter toutes les bonnes volontés dans la perspective de construire un autre monde sans pauvreté.

 

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Pour plus d’informations sur le sujet :

Muhammad Junus, Vers un monde sans pauvreté, Ed. Jean-claude Lattès, Paris, 1997, 345 p.

http://www.barefootcollege.org/default.asp

http://refairelemonde.over-blog.com/article-14548141.html

Le site de l’École des va-nu-pieds :

http://www.barefootcollege.org/default.asp

Une conférence de Bunker Roy :

http://www.youtube.com/watch?v=6w5pinrOyGY

1Peu importe des dénominations de ces centres de formation : certains les appellent collèges, d’autres universités, etc.

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Crédits photos :

Les photos des écoles des va-nu-pieds proviennent su site http://www.barefootcollege.org/default.asp

celle de Muhammad Yunus et Bunker Roy sont libre de droit, téléchargeables sur le site de wikipédia.

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