Krishna & le Christ : qui procède de qui ? (suite)

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Controverse entre un indianiste catholique et Jacolliot

« Tout le monde sait que les Évangiles n‘ont été écrits ni par Jésus-Christ ni par les apôtres, mais longtemps après, par des inconnus, qui, jugeant bien qu‘on ne les croirait pas sur des choses qu’ils n’avaient pas vues, mirent à la tête de leurs récits des noms d’apôtres ou d’hommes apostoliques contemporains… » (FAUSTE, savant manichéen du IIIè siècle.)

Afin de rendre la lecture plus fluide, nous insérons au début de chaque article des liens de cette série inédite d’une vingtaine d’extraits de plusieurs ouvrages sur l’origine du christianisme et ses rapports avec les anciennes religions de l’Inde, bref une comparaison de la Bible avec les anciens textes sanscrits. C’était l’oeuvre de Louis Jacolliot (1837 – 1890), magistrat français aux Indes au temps de la colonisation.

* * * * *

Telle est la théorie imaginée au siècle dernier par les pères jésuites dans l’Inde; théorie que tous les indianistes catholiques soutiennent aujourd’hui avec cet ensemble que l’on connaît, toutes les fois que les intérêts de Rome sont en jeu ; et ici le cas n’est pas mince, il s’agit simplement, pour toutes les branches du christianisme, d’être ou de ne pas être, – et M. Textor de Ravisi pose dès le début carrément la question :
Est-ce le brahmanisme qui a emprunté au christianisme le couronnement de son édifice, le culte de Jésus—Christ?
Est-ce au contraire le christianisme qui a ses origines dans le brahmanisme, dans le culte de Christna?

Et ici pas d’attermoiement, pas de négation, on ne cherche pas à nier une vérité qui crève les yeux sur les bords du Gange ou du Godavéry. Morale, dogmes, culte, incarnations de Christna et du Christ, se ressemblent dans le brahmanisme et le christianisme, et M. Textor de Bavisi se demande nettement quel est celui qui procède de l’autre? L’écrivain catholique conclut naturellement en faveur du catholicisme, il était difficile qu‘il en fût autrement. Mais, ainsi que nous allons le voir bientôt, cette opinion ne soutient l’examen, ni au point de vue historique et chronologique , ni au point de vue scientifique pur.
Les missionnaires qui connaissent l’Inde depuis des siècles, tout en se gardant bien de nous la révéler, tout en cherchant à cacher le passé de cet antique et mystérieux pays aux yeux profanes de la science, ne se sont pas dissimulé qu’un jour viendrait où l’Europe, étonnée de retrouver dans les grandes ruines de l’Indoustan les origines du christianisme, se rappellerait cette parole des gnostiques aux apôtres leurs contemporains : « Votre religion nouvelle n’est que la vulgarisation des mystères de l’Orient », et ils ont essayé de créer de toutes pièces un système qui fit l’lnde tributaire de la Judée, ce qui était le seul moyen de tourner la difficulté. Mais ils s’y sont pris trop tard heureusement, et après avoir tracé le plan de l’édifice, ils n’ont pas eu le temps de le construire… Bien plus, le travail ébauché accuse son origine, décèle les motifs qui l’ont fait entreprendre, et tous les efforts faits par les missionnaires catholiques ou protestants, pour égarer les recherches de la science sur le brahmanisme, prouvent à quel point ce dernier était redouté de ses adversaires.
Pesant à mon tour la même question :
Qui, du brahmanisme ou du christianisme, est le copiste ? je réponds, en m’appuyant sur d’irréluctables documents :
Le christianisme !
Avant d’entrer dans le vif du sujet, je dois déclarer, ainsi que M. Textor de Ravisi l’a fait courtoisement pour moi, que la bonne foi de cet honorable indianiste n’est pas en jeu. Partisan convaincu de la révélation, il n’a pu apprécier à leur juste valeur les opinions et les actes des missionnaires, et étudier l’Inde avec un esprit indépendant de toute attache religieuse. . .
J’ai écrit les lignes suivantes dans la Bible dans L’Inde, à une époque où je ne prévoyais certes pas ce débat. Du reste, ceci est de l’histoire.
« Les jésuites, qui furent les premiers à venir prêcher l’Évangile dans l’Inde, s’aperçurent vite qu’ils n’avaient pas devant eux un peuple naïf et sauvage, mais bien une nation civilisée, tenant par-dessus tout à ses moeurs, à sa religion, à ses coutumes, et qu’ils n’arriveraient à rien avec des moyens ordinaires.
Ils se vêtirent alors à la manière indoue et se prétendirent des brahmes venus d’Occident pour rappeler au peuple les anciennes croyances qu’il avait abandonnées.
Non seulement ils respectèrent les castes, les cérémonies, les préjugés, les superstitions, mais encore ils les adoptèrent, les firent leurs, et s’identifièrent si bien avec les Indous qu’ils parvinrent à se faire adopter et à gagner quelques partisans.
« Jalouses de leur succès, quelques congrégations rivales les attaquèrent devant la cour de Rome, pour avoir ainsi rabaissé la religion en la faisant se prêter à des transactions qui portaient atteinte à ses principes.
Les jésuites furent solennellement condamnés par le pape, qui, sous le nom de rites malabares, proscrivit leur mode de procéder, et annula, comme contraires à la loi catholique, toutes les concessions qu’ils avaient faites à l’esprit du pays. » Bible dans l’Inde, p. 339.
Les Missions étrangères, qui reçurent la succession des jésuites, moins habiles que ces derniers, n’ont jamais pu se créer d’adeptes, et en très petit nombre encore, que chez les parias, auxquels elles sont obligées de servir de petites pensions mensuelles, et qui désertent l’Église dès qu’on ne paye plus…
Les jésuites, en même temps qu’ils avaient pris l’habit des brahmes et leur manière de vivre, fondu les cérémonies des cultes brahmanique et catholique, et soudé ensemble les dogmes des deux religions, s’étaient mis à travailler les différents idiomes du pays, de façon à ce qu’il n’en fût aucun dans lequel ils ne pussent parler, écrire et traduire aussi facilement que les prêtres indigènes. Ils se proposaient, leur tentative imparfaite l’a démontré, soit de refondre tous les ouvrages indous à leur manière, en leur laissant l’apparence de l’authenticité, soit tout au moins d’égarer les recherches de la science par des ouvrages apocryphes destinés à jeter sur l’Inde ancienne d’une part un épais nuage d’obscurité, et de l’autre sur les brahmes et les pundits modernes un soupçon d’interpolation systématique.
Ces faits, tellement bien établis dans l’Inde qu’ils ne se discutent même pas, ont besoin d’être révélés à l’Europe.
M. Textor de Ravisi, bien imprudemment sans doute, va nous fournir une preuve des agissements des missionnaires jésuites:
Il affirme que l’Ézour-védam, « que Voltaire et après lui plusieurs indianistes ont pris pour un ouvrage écrit quatre cents ans avant la conquête d’Alexandre, a été composé par le P. Calmette, missionnaire français à Karikal et à Pondichéry. »
Notre contradicteur va s’apercevoir de la gravité de son aveu à la question qu’il nous donne l’occasion de poser.
Laissant de côté le point de savoir quel est le véritable auteur de l’Ézour-védam, nous disons :
— N’est-il pas évident que le vénérable Calmette, en recourant à cette supercherie de composer en secret un livre apocryphe, c’est-à-dire mélangé de brahmanisme et de christianisme, et destiné par une apparence d’authenticité, à égarer d’abord les pas de la science, et plus tard, la tromperie découverte, à inspirer de la méfiance pour tous les livres indous, n’est-il pas évident, dis-je, que ce vénérable Calmette a accompli là une oeuvre peu digne, mais parfaitement dans les traditions jésuitiques que je signale ?
Il n’y a pas à sortir de là :
Si l’Ézour-védam, écrit dans le style et la manière d’il y a trois mille ans, n’est pas authentique, c’est un livre de moins à l’acquit des Indous, mais aussi, c’est une supercherie de plus à l’acquit de la Compagnie de Jésus, et de ce pieux et Vénérable pasteur qui a nom Calmette.
Seulement, la supercherie va contre son but, et l’emploi de pareilles armes prouve jusqu’à l’évidence à quel point les prêtres de Rome ont jugé le brahmanisme dangereux pour les traditions chrétiennes.
Je n’insiste pas. Cependant, il est bon que l’on sache que l’Ézour-védam, revendiqué par les missionnaires, est sans valeur de doctrine, ne compte pas parmi les ouvrages de théologie brahmanique, et n’existe même pas dans les bibliothèques des grandes pagodes de l’Inde. J’ajouterai, pour clore le débat, que M. Textor de Ravisi ne nous dit pas qu’il n’y a d’autres preuves de la revendication Calmette que l’affirmation des missionnaires, et… l’indifférence des brahmes.
Mon adversaire affirme encore que les charmants apologues cités par l’abbé Dubois, comme appartenant à la littérature indoue, ont été apportés dans l’Inde par les missionnaires. Je regrette beaucoup d’être obligé de dire à Textor de Ravisi qu’il a commis là, sur la foi de ses amis, une erreur matérielle. Les apologues cités par l’abbé Dubois sont tous extraits du Pantcha-Tantra, ouvrage attribué au brahme Pilpay, que l’antiquité entière a connu, qu’Ésope, Phèdre, Babrius et La Fontaine ont imité, et dont l’authenticité ne saurait être mise en doute.
Sur ce terrain, on ne voit pas trop pourquoi les révérends Calmette et consorts ne réclameraient pas la paternité de Manou et des Védas… Il est certain que le plan des jésuites ne tendait à rien moins qu’à cela, et que s’ils fussent arrivés dans l’Inde quatre ou cinq siècles plus tôt, ils en seraient aujourd’hui à revendiquer la plupart des ouvrages théologiques de l’Inde ancienne.
Il est dit encore dans l’opuscule que nous combattons que « la quantité des ouvrages écrits par les missionnaires, dans tous les dialectes de l’Inde anciens et modernes, est prodigieuse, sur la grammaire, la littérature, la poésie, les sciences, la philosophie et la religion, etc. »
Je prie un homme que je respecte profondément de ne point se trouver blessé par mes paroles, mais je suis obligé de réduire cette opinion des RR. PP. à sa réelle valeur.
Il n’y a pas, dans l’Inde entière, un seul ouvrage sérieux écrit en samscrit par des missionnaires, sur la grammaire, la littérature, la poésie, les sciences, la philosophie et la religion.
Je proteste scientifiquement contre cette prétention, et je mets au défi qu’on me cite un seul ouvrage écrit dans cette langue par un missionnaire ! Il ne faut pas que de pareilles idées, que nul n’ose soutenir dans l’Inde, essayent de faire leur chemin en Europe.
Le seul ouvrage de valeur composé par un missionnaire est le Tembavanam (et non Tembavani) du P. Beschi.
Et ce poème en l’honneur du Christ est écrit en tamoul. Sont-ce les ouvrages écrits en tamoul, kanara, telinga, bengali, indoustani, etc., par les prêtres catholiques pour les besoins de leur ministère, que nous devons consulter dans une étude sur l’Inde ancienne et l’origine du brahmanisme? Que nous importent toutes ces productions modernes? Nous n’avons à nous occuper que des grands ouvrages de l’antiquité samscrite, et c’est sur ce terrain que je vais ramener M. Textor de Ravisi, quand j’aurai fini de relever ses considérations générales, qui se bornent à être des affirmations sans autres preuves.
En adoucissant le plus possible ma pensée, je suis obligé de dire que mon adversaire s’est fait, de la meilleure foi du monde, l’écho d’opinions cléricales qu’il n’a pas pris la peine de contrôler.
En voici une nouvelle preuve. Parlant des extraits que j’ai donnés des védas, il dit : « Je ferai remarquer que le, quatrième livre des védas, l’Arthavan-véda (c’est Atharva-véda qu’il faut écrire) est relativement tellement moderne, que beaucoup d’Indous le considèrent comme apocryphe… »
On sait que le législateur Manou se perd dans la nuit des temps antéhistoriques de l’Inde, et qu’aucun indianiste n’a osé lui refuser le titre du plus ancien législateur qui ait paru dans le monde. Eh bien, Manou va répondre à M. Textor de Ravisi.

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Sculpture sur bois inspirée du Mahabharata

Livre XI, sloca 33.
Traduction de William Jones et de Loiseleur-Deslongchamps.
« Qu’il emploie sans hésiter les prières magiques de l’Atharva-véda et d’Angiras, la parole est l’arme du brahme, c’est avec son secours qu’il doit détruire ses oppresseurs. »
Comment l’Atharva-véda cité par Manou peut-il être moderne ou apocryphe?
Faut-il ajouter à cela l’opinion du grand indianiste Colebroocke ?
« On ne saurait contester que l‘Atharva soit, au moins en partie, aussi ancien que les autres védas. »
Mon adversaire affirme encore que le Bagavéda-Gita est une interpolation dans le grand poème du Mahabharata, il ne saurait en être autrement; cet ouvrage étant la vie de Christna, copiée servilement par les apôtres, il est impossible de l’admettre à sa date de mille ou quinze cents ans avant notre ère, sans renverser par cela même toute la légende judaïque et chrétienne.
Il est à remarquer que M. Textor de Ravisi, suivant en cela la dialectique cléricale, en fait de preuve de ce qu’il avance, se borne à des observations, qu’il semble établir comme axiomes. Il croit à l’oeuvre des missionnaires dans l’Inde comme il croit à la révélation.
Mais si, en matière religieuse, l’absurdité est un argument, credo quia absurdum, il n’en est pas de même en matière scientifique.
Ce Bagavéda-Gita, interpolé dans le Mahabharata, d‘après les disciples de Calmette, est nommé et analysé dans le Madana-Ratna-Pradipa, recueil des textes des plus anciens législateurs, dans Vrihaspati, dans Parasara, dans Narada, et une foule d’autres ouvrages d’une incontestable authenticité; tous les commentaires des livres sacrés lui consacrent également quelques pages.
Tous les grands indianistes qui ont passé une partie de leur vie dans l’Inde, William Jones, Colebroocke, Thomas Strange, Wilson, Princeps et autres, ont donné à cet ouvrage une antiquité de douze à quinze cents ans avant notre ère, et l’avenir étendra encore cette date, lorsque la science se sera une bonne fois débarrassée de cette chronologie biblique, qui donne à l’homme six mille ans d’existence, et a besoin, pour s’établir, de patriarches ayant vécu huit cents et mille ans chacun.
William Jones croyait si bien à l’authenticité du Bagavéda-Gita, chapitre du Mahabarata, consacré à Christna, que cet indianiste de génie se sert de cet ouvrage dans ses Commentaires sur les plus anciens législateurs de l’Inde (Madana-Ratna-Pradipa), pour éclairer et préciser le sens de certains textes.
« Il est à remarquer sur les textes précédents (Cratou, Narada, Smriti, Parasara, Vrihaspati, Aditya, Pourana, etc.) qu’aucun d’eux, à l’exception de celui de Vrihaspati, n’est cité par Collouca, qui ne semble jamais avoir considéré aucune des lois de Manou comme restreintes aux trois premiers âges; que celui de Smriti, ou Code sacré, est cité sans le nom du législateur, et que la prohibition, dans tout âge, de la défense personnelle contre les brahmes, est en opposition avec un texte de Soumantou, et avec l’exemple et le précepte de Christna lui-même dans le Mahabharata et même avec une sentence du véda... » (WILLIAM JONES, traduction de Manou et commentaires.)
Ainsi William Jones non seulement s’appuie sur les préceptes et les exemples de Christna; sans élever le moindre doute sur l’authenticité du chapitre (Bagaveda-Gita), qui s’occupe de cette incarnation de Vischnou, mais encore il semble le placer comme autorité sur le même pied que le véda…
Tout est de cette force scientifique dans le système des missionnaires.
Ceci les gêne?… interpolation !
Ceci n’est pas de leur goût?. .. apocryphe.
Il faut ajouter qu’ils jettent au feu tout manuscrit qui leur tombe sous la main. L’Inde, par son étendue, par le peu d‘influence qu’elle a laissé prendre sur elle par les étrangers, a échappé à la destruction totale de ses traditions écrites, de ses monuments… Plus heureuse en cela que l’Océanie, dont l’exiguïté des îles a facilité la conquête religieuse; à ce point que, dans toute la Polynésie, habitée par des hommes de race jaune, intelligents, parlant une langue qui se rapproche des radicaux samscrits, on ne trouve plus que des lambeaux de traditions inexplicables ; les cuistres anglicans, marchands de bibles, de conserves et de vêtements confectionnés, brochant sur les séides de Rome, ont détruit les moraës, les tombeaux des rois, les pierres sculptées, les inscriptions et changé jusqu’au mécanisme du langage… Il y a quelque chose de pis que les actes des Vandales, ce sont les actes des missionnaires. Tout vestige du passé disparaît devant eux; l’homme ne doit dater que de Moïse et du Christ..…
Je m’étonne qu’après les avoir si fortement attaqués, mon adversaire sente le besoin de nous affirmer qu’il croit beaucoup plus à l’authenticité des livres sacrés des Indous que M. Burnouf et moi ne croyons à celle du Pentateuque de Moïse.
Je n’ai pas mission de répondre pour l’éminent professeur, mais je dois dire pour ma part, et cela avec les textes, l’histoire et les hébraïsants les plus distingués, que le Pentateuque, dans sa forme actuelle, n’a jamais été écrit par Moïse… Il est un point de ces considérations générales sur lequel M. Textor de Ravisi et moi sommes entièrement d’accord.
Ainsi je dirai avec lui qu’il y a dans l’Inde autant de textes des védas qu’il y a de pagodes et de temples, et j‘ajouterai qu’il en est de même pour Manou. Seulement, au lieu de prétendre que ces textes sont surchargés d’interpolations modernes, de corrections maladroites, de remarques déplorables, qui changent la nature des ouvrages, je dirai, et ceci est de la plus rigoureuse vérité, que ces livres sacrés, partout où ils existent en samscrit, sont les mêmes comme forme et fond de doctrine, et qu’ils ne diffèrent que par les nombreux commentaires qui les accompagnent, et forment corps avec l’ouvrage.
Ainsi, dans telles ou telles pagodes, les védas et Manou sont copiés avec tous les commentaires qui ont été composés sur eux; dans d’autres, au contraire, ces mêmes ouvrages ne sont accompagnés que des commentaires d’un écrivain particulier ou d’une époque spéciale.
Je reconnais qu’il y a là un énorme travail de reconstruction à faire pour restituer chaque commentaire, non à son auteur, ce qui serait impossible, mais à l’époque à laquelle il appartient.
Il arrive souvent que l’oeuvre du commentateur est tellement liée à l’ouvrage lui-même qu’il est presque impossible de l’en distraire; seul, un travail de comparaison sur tous les textes, travail qui demandera des siècles d’études, permettra de retrouver et de rétablir dans leurs formes primitives les védas, Manou et la plupart des ouvrages de l’Inde ancienne. Et c’est pour cela que je soutiens que les textes des védas et de Manou, expédiés en Europe par la Société asiatique de Calcutta, ne sont qu’une tentative, et que ce ne sont pas là les véritables textes. Ces copies sont en effet toutes différentes de celles des pagodes du sud de l’lnde, dont les traditions primitives n’ont pas été, comme dans le nord, détruites par les invasions.
Mais ces commentaires, loin de nuire à l’authenticité des livres sacrés, servent au contraire à la démontrer, en accentuant siècle par siècle les transformations des coutumes, des traditions et des moeurs. Quant à la doctrine en elle-même, il n’y a pas un seul commentateur qui n’ait tenu à la respecter.
En terminant cette première partie de ma réponse, je dirai à M. Textor de Ravisi : Non, le génie brahmanique ne s’est pas complu à ensevelir son histoire et les produits de son intelligence dans les siècles de ses chronologies fabuleuses… Pour porter le flambeau dans la nuit du passé, il faut simplement, laissant de côté Moïse et la Bible, Usserius et nos méthodes, étudier la chronologie des brahmes, comme elle doit être étudiée, savoir qu’ils ont remplacé la date imaginaire par la date astronomique, et alors on comprend la vérité de cette parole du savant Halled, le traducteur des Sastras :
« Peu de peuples ont des annales aussi authentiques que celles des Indous. » –
Un mot sur l’aventure de Wilford, qui a donné lieu dans l’Inde à une sérieuse polémique, qui s’est terminée, il faut bien le dire, à l’avantage du brahme Appassamy.
Wilford travaillait avec ce brahme, qui lui narrait de mémoire des légendes anciennes extraites des Pouranas. Lorsque cet indianiste anglais publia ces légendes, il eut le tort de prétendre que le texte qu’il donnait était exactement celui des Pouranas. Il est bon de remarquer que les erreurs de texte ne furent pas signalées par les indianistes européens, mais bien par les brahmes eux-mêmes, et qu’Appassamy fut un des premiers à reprocher à Wilford d’avoir pris des récits, très exacts du reste, puisque la différence ne portait que sur quelques expressions, pour des textes purs.
Pour moi, dans mes études indianistes, je n’ai point rapporté des légendes récitées de mémoire, mais collationnées sur les textes mêmes des ouvrages indous.
M. Textor de Ravisi, comme tous les orientalistes sérieux qui ont puisé aux sources, reconnaît « que les magnifiques faits et textes que je cite se trouvent réellement dans les poèmes indous. » Mais, d’accord avec sa thèse catholique, il attribue ces faits et ces textes, les uns aux traditions de la révélation primitive que les Indous auraient reçues comme tous les peuples, les autres à l’infiltration des idées chrétiennes. Nous allons voir ce que vaut cette opinion en étudiant ce que mon adversaire a dit spécialement de mes études sur la Bible et la grande figure de Christna! — Je serai bref, car, sur ce terrain, une simple question historique et chronologique nous sépare.
M. Textor de Ravisi dit lui-même « que le sujet ne comporte qu’une simple discussion de philosophie historique! »
J’avais écrit: « Rationalistes, repoussons la révélation. » Et
mon adversaire répond :
« Rationalistes chrétiens, admettons la révélation. »
Je ne fais que citer sans discussion, ne comprenant pas comment on peut être rationaliste et chrétien, libre et esclave tout à la fois.
Il résulte de là que M. de Ravisi n’a pas ses coudées franches dans ce débat; il est un peu, dans la route qu‘il parcourt, comme la locomotive qui, captive sur ses rails, jouit de toute sa liberté, à condition de ne pas sortir du sillon qu’on lui a tracé. En n’acceptant d’autre flambeau que celui de la révélation chrétienne, il ne saurait, en aucun cas, admettre le moindre fait contraire à sa foi ; tandis que moi, qui ne crois pas plus au brahmanisme qu’au christianisme, qui n’étudie l’un et l’autre qu’au point de vue scientifique, je ne ferai nulle difficulté d’accepter n’importe quel fait, texte ou preuves, pour ou contre l’un ou l’autre, puisque tout cela est sans influence sur mes convictions philosophiques.
Un mot d’abord sur la question philologique que soulève le nom de « Christna » tel que je l’écris :

« Christna « 

Mon adversaire prétend qu’il n’avait jusqu’à ce jour attaché aucune importance à l‘orthographe de ce mot. On trouve, dit-il, dans les livres indous, suivant les auteurs et les dialectes, « Krishna » , « Kristna », » Kirsna », « Chrishna », « Crihna », « Kissen », « Cresno », etc., mais je n’ai point encore rencontré ce mot écrit « Christna ».
Il en conclut que j’ai écrit « Christna » pour le rapprocher davantage, pour les yeux, du mot « Christ »!
La plupart des orientalistes qui m’ont fait l’honneur de me déchirer quelque peu ont fait de ceci une question capitale…
Leur acrimonie sur cette question de forme ne fait que déceler mieux la pénurie de leurs arguments au fond.

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Une des tours du complexe Sree Meenakshi dédié à Shiva, cité de Madurai, province de Tamul Nadu. De style tamoul ce complexe construit 4 siècles avant J.C., fut détruit au XIVe siècle par l’invasion de l’Islam, puis reconstruit au XVIIe siècle par la dynastie des Nayak.

Je suis heureux de m’expliquer une bonne fois sur ce point.
M. Textor de Ravisi me fournit lui-même, en croyant m’attaquer, la meilleure de toutes les réponses.
On trouve , dit-il , dans les livres indous, « Krishna », « Kristna », etc…
Eh bien! je le demande à tout philologue qui connaît le mécanisme des langues orientales : Quelle différence y a-t-il entre ces deux mots : « Kristna » et « Christna »?
Quelle différence phonétique y a-t-il à rendre dans notre langue le « k » samscrit, qui se prononce avec une forte aspiration du gosier, par notre « k » ou notre « ch »?
Le « k » samscrit est rangé par tous les grammairiens indous et, à leur imitation, par Desgranges et Burnouf, parmi les gutturales fortes aspirées. Or, notre « k » étant une forte, et notre « ch » une forte aspirée, il suit de là que le « k » samscrit étant une guttarale forte aspirée, j’ai du la rendre par notre « ch » qui, étant une forte aspirée, était plus conforme à l’écriture et à la prononciation samscrite.
Au surplus, il me suffit de prouver à mes lecteurs, par l’autorité même d’un adversaire, qu’on écrit en samscrit :

KRISTNA,

pour que je n’insiste pas. — Les autres expressions « Krishna », « Crishna », « Kissen », etc., appartiennent aux dialectes tamoul, telinga, kanara et autres.
« Kristna » au « Christna » me sont parfaitement indifférents, le mot est le même en samscrit, et la légère différence d’écriture, adoptée par les uns ou les autres, ne vient que du plus ou moins de respect et d’exactitude avec lesquels on rend le son phonétique samscrit avec l’alphabet de notre langue. Le radical « kris » ou « chris », qui signifie sacré, a formé le mot grec cριστος ou « christos », qui a le même sens, et que nous traduisons par « Christ » et non « Krist », sans qu’il y ait grammaticalement une bien grande différence entre l’un et l’autre.
Avant moi, Volney avait admis ce radical « chris » (sacré), pour écrire le nom de la grande incarnation indoue.
Après avoir reconnu qu’on écrivait en samscrit : « KRISTNA » , d’où vient que M. Textor de Ravisi, dans une note, page 342, écrive ceci : – « Quant à moi, j’écris « Krichna », parée que mon interprète indou écrivait « Khrishna »... » Comment? votre interprète admet le radical « khris » – sacré, – et vous écrivez, par ce motif, « Krichna » qui signifie noir.
En vérité, mon adversaire se réfute trop bien lui-même pour que j’insiste.
Il n’y a à cela qu’une seule explication de logique, et la voici :
Les révérends Calmette et consorts écrivent « Krichna », qui ne signifie rien et qui ne les gêne pas, au lieu de « Kristna » ou « Christna » qui signifie quelque chose, mais qui les gêne, et toute l’école catholique les suit dans cette voie, qui est celle des rationalistes chrétiens… nouvelle secte qui prétend faire du rationalisme révélé.
M. Textor de Ravisi prétend encore que le nom réel de ce personnage était « Caneya ». Il serait plus juste de nous dire que « Caneya » est un des noms de Christna, et je m’étonne que mon adversaire n’ait pas cru devoir donner l’intéressante explication de ce nom : Canya, en samscrit, signifie « la vierge » ; canyeya, et, par élision, Caneya, signifie issu de la vierge, le fils de la vierge.
Dans tous les hymnes du culte, c’est ce titre que l’on donne au dieu incarné.
Ces questions philologiques résolues, je m’étendrai peu sur la figure religieuse et philosophique de Christna, mon éminent adversaire prenant encore soin lui-même de me fournir des armes concluantes dans le passage suivant que je sens le besoin de rappeler.
« Khristna posséda toutes les vertus et tous les vices de l’humanité. Telle est la grande et poétique figure que les poèmes et les livres sacrés indous peignent tous. Telle est celle également, que ses adorateurs lettrés se sont complu à me révéler dans l’Inde dans les fréquents entretiens que j’ai eus avec eux quand ils comparaissaient devant moi pour plaider des affaires de caste et de religion. Quant à ses sectateurs, les uns l’adorent avec ses vertus et ses vices, les autres avec ses vertus seulement, et les autres, enfin, avec ses vices exclusivement. »
Si j’étais un partisan de la divinité de Christna, l’argument aurait quelque valeur; trouver des vices au dieu que j‘adorerais, serait porter une singulière atteinte à sa dignité. Mais, comme je ne crois pas plus à la divinité de Christna qu’à celle de sa doublure le Christ, l’aveu de M. de Ravisi que Christna posséda toutes les vertus et tous les vices de l’humanité, devient dangereux pour son système, surtout quand il ajoute qu’il y a des sectateurs dans l’Inde « qui l’adorent avec ses vertus seulement! »
Je n’ai plus alors qu’à lui répondre : C’est précisément ce Christna que vous reconnaissez et que ses sectateurs adorent dans ses vertus seulement, que j’ai étudié, le signalant comme le Héros de cette incarnation légendaire que les apôtres ont rajeunie pour donner du poids à leur tentative de réforme religieuse, et dont plus tard les écrivains apocryphes des Évangiles ont copié les aventures fabuleuses.
Vous n’empêcherez pas que la figure de votre Christ ne puisse soutenir le plus simple examen historique, qu’elle n’ait été inconnue de tous à l’époque où vous la placez, que toute l’école d’Alexandrie n’ait dit aux apôtres : « Vous ne faites que vulgariser les anciens mystères de l’Orient » ce dont elle porta plus tard la peine sous Justinien, qui la fit fermer à la requête du christianisme triomphant, et, qu’à l’apparition des Évangiles, tous ce que l’époque comptait de savants et d’esprits indépendants n’ait répété, à l’exemple de l’illustre manichéen Fauste :
« Tout le monde sait que les Évangiles n’ont été écrits ni par Jésus-Christ ni par les apôtres. mais longtemps après par des inconnus qui, jugeant bien qu’on ne les croirait pas sur des choses qu’ils n’avaient pas vues, mirent à la tête de leurs récits des noms d’apôtres ou d’hommes apostoliques contemporains. » (FAUSTE.)
L’existence de l’antique et légendaire Christna, comme M. de Ravisi l’appelle lui-même, est prouvée par tous les livres sacrés les plus anciens de l’Inde. Le Mahabharata, le dernier en date, a été composé douze à quinze cents ans avant notre ère, c’est-à-dire à l’époque où Moïse conduisait les Hébreux dans le désert. Elle est prouvée par les ouvrages des djeïnistes qui se sont séparés des brahmes plusieurs milliers d’années avant la révélation chrétienne. Elle est prouvée par les temples, les bas-reliefs et les monuments épigraphiques les plus anciens… Elle est tellement prouvée enfin, que les différentes sectes du christianisme, désespérant de détruire tous les manuscrits, tous les monuments, marbre ou pierre, sur lesquels elle s’appuie, s’entendent admirablement, quoique irréconciliables ennemies sur tout autre sujet, pour altérer la physionomie de la grande incarnation de Vischnou.
Pour l’existence du Christ… elle n’est prouvée que par des livres apocryphes écrits par des plumes intéressées et dont pas un ne saurait trouver grâce devant la critique historique la plus indulgente.
Je ne puis donc conclure autrement que je ne l’ai fait jusqu’à ce jour.
La légende du Christna indou est authentique, celle du Christ juif, relevant les mêmes aventures, les mêmes actes, la même morale, n’est qu’une copie.
Je vais maintenant démontrer à M. de Ravisi l’impossibilité de ses conclusions et lui prouver que le brahmanisme n’a jamais rien emprunté au christianisme; que ce dernier, au contraire, en parodiant le rôle de Christna, s’est peu à peu assimilé tous les dogmes et toutes les cérémonies du culte antique des Indous.
Mon adversaire a dès le début prononcé la parole suivante, qui résume l’opinion développée dans sa brochure.
1. « Le brahmanisme a emprunté au christianisme le couronnement de son édifice, le culte de Jésus-Christ. »
Cette déclaration de l’ancien gouverneur de Karikal; d’un homme qui, pendant quinze ans, a été mêlé d’une manière active aux actes de la vie civile et religieuse des Indous, a une valeur extraordinaire dans l’état actuel des sciences indianistes. Elle prouve la parfaite identité des principes, des croyances et du culte brahmanique et chrétien; elle prouve que la figure de Christ, rédempteur, philosophe et moraliste, n’est un mythe que pour ceux qui ignorent l’Inde ou qui ont intérêt, comme certain romancier du Christ, à repousser tout ce qui pourrait contrarier la mystique et fabuleuse légende qu’ils ont inventée.
La question chronologique, en l’état, ne nous divise même plus, car M. de Ravisi admettant la haute antiquité de Christna, incarnation de Vischnou, notre dissentiment ne porte que sur l’époque où le dieu indou, sortant de la tradition hiératique, a été considéré dans l’Inde comme un symbole de régénération morale.
Je prétends que c’est ainsi que Christna a été compris et vénéré dès son origine. M. de Ravisi prétend, au contraire, que l’antique Christna a peu à peu revêtu la figure du Christ.
Voilà le dernier terme du débat.
Je ne discuterai pas ici toutes les impossibilités historiques et philologiques de la thèse de mon adversaire, qui n’est autre que celle des missionnaires combattant pro aris et focis et pour qui la négation de l’antiquité des dogmes indous est une nécessité d’existence.
Le brahmanisme tue la révélation catholique. Je ne chercherai pas à lui démontrer que le Mahabharata et le Bagavéda-Gita qui nous représentent Christna moraliste et philosophe ont été écrits douze à quinze siècles avant notre ère et que ces ouvrages dont il nie l’authenticité sans donner de preuves, sont regardés par tous les grands indianistes, William Jones, Colebroocke, entre autres, comme possédant une autorité presque égale à celle des védas.
Je ne lui dirai pas que le Pratamahy-yoga des djeïnistes nous peint le dieu sous les mêmes couleurs;
Que les Indous ont tout tiré de peuples plus anciens encore et de leur propre fond, mais qu’ils n’ont jamais été imitateurs ni copistes de peuples postérieurs à eux de plusieurs milliers d’années qu’ils ne connaissent même pas; que c’est là l’opinion de tous les indianistes qui ont vécu dans l’Inde;
Que l’on retrouve dans l’Inde comme un arbre auquel se rattachent toutes les racines et toutes les branches, les principes de toutes les croyances, de tous les usages, de toutes-les coutumes des différents peuples du globe, avec l’explication du fait religieux ou civil qui leur a donné naissance, explication que vous ne retrouvez dans les traditions d’aucune autre contrée; que tous les philosophes anciens voyageaient dans l’inde pour s’instruire et que pas un philosophe indou n’est venu en Judée ou dans l’0ccident.
Je ne lui dirai pas qu’au moment où, la légende chrétienne place la venue de Jésus, le grand mouvement civilisateur qui avait fait de l’Inde le flambeau des peuples anciens s’était arrêté depuis plusieurs siècles, que le samscrit ne se parlait plus que dans les temples et que la vieille contrée des brahmes s’endormait de ce sommeil asiatique qui est l’image de la mort…

Illus

L’allée centrale du sanctuaire d’une tour du complexe Meenakshi.

Les arguments de toute espèce abondent, mais je n’en veux présenter qu’un que j’ose prétendre irréfutable.
Christna n’a apporté à la vieille religion des brahmes ni principes, ni croyances, ni morale, ni dogmes, ni cérémonies, ni culte nouveaux. Tout ce que ce philosophe a prêché et enseigné aux peuples de l’Indoustan existait depuis des siècles dans les livres sacrés, il n’a fait que rappeler les croyances du passé et tenter, sans y avoir réussi, de sauver son pays de la décrépitude. Après sa mort, les prêtres, dont il avait attaqué les vices, l’ont placé dans leur Panthéon, en ont fait une incarnation de Vischnou, ont permis son culte en le dirigeant, pour se débarrasser d’un ennemi, et afin que le peuple ne conservât pas pure la tradition de la vie de ce grand homme.
Or si Christna n’a rien innové comme principe, morale, dogme et croyance, si tout est émané des védas et de Manou, que devient cette prétendue influence du christianisme au 19 siècle de notre ère ?
Il ne reste plus qu’une réponse au service des disciples de Calmette et consorts, c’est que ce sont les missionnaires qui ont créé le samscrit, écrit Manou, les védas, le Mahabharata, et tous les grands ouvrages religieux et littéraires de l’Inde ancienne…
Si cette absurdité avait chance d’être crue, ils ne reculeraient pas devant son affirmation. Voyons donc quels sont les dogmes primitifs du brahmanisme, et sur ce point, afin d’éviter toute discussion de texte, je ne m’appuierai que sur un auteur connu de tous les orientalistes et que chacun pourra contrôler, je veux parler de Manou. Je dois ajouter que pour plus d’impartialité encore, je ne traduirai pas moi-même, et prendrai mes citations dans les versions de William Jones et de Loiseleur-Deslongchamps.
La primitive religion brahmanique est fondée sur:
1° L’unité de Dieu dans la trinité;
2° L’incarnation périodique de Vischnou, deuxième personne de la trimourty, venant apporter aux hommes la volonté céleste ;
3° L’immortalité de l’âme;
4° La croyance au mérite et au démérite, à la récompense et au châtiment, dans le swarga — ciel, et dans le naraca—enfer.
5° La métempsycose.
Ces croyances sont-elles réellement celles de l’Inde primitive ?
Je ne réponds que par des textes :
1° Sur l’unité de Dieu.
« Ce monde était plongé dans l’obscurité, etc… Alors le Seigneur existant par lui-même et qui n’est pas à la portée des sens externes, rendant perceptible ce monde avec les cinq éléments et les autres principes resplendissant de l’éclat le plus pur, parut et dissipa l’obscurité…
Celui que l’esprit seul peut percevoir, qui échappe aux organes des sens, qui est sans parties visibles, éternel, l’âme de tous les êtres, que nul ne peut comprendre, déploya sa propre splendeur… » (MANOU, livre I“, slocas 5, 6, 7.)
J’ai donné dans la première partie de cet ouvrage (page 32) le début de la magnifique Genèse de Manou, où se trouvent ces passages.
Ni le mosaïsme ni le christianisme ne sauraient nous offrir une conception plus pure de l’Être existant par lui-même, de la Grande Cause première.
2° Sur la trinité.
« Le mystère de la triade (Brahma-Vischnou-Siva), connu seulement des initiés dans l’Inde ancienne, ne pouvait être révélé au vulgaire sous peine de mort. » (VRIHASPATI.)
« La sainte syllabe primitive composée de trois lettres (a, u, m.), dans laquelle la triade védique (Brahma-Vischnou Siva) est comprise, doit être gardée secrète comme un autre triple véda. Celui qui connaît la valeur mystique de cette syllabe connaît le véda. » (MANOU, livre XI, sloca 265.)
Dans une foule d’autres passages, Manou recommande le secret sur cette conception religieuse, réservée aux hautes classes.
« Dans la mythologie indienne, Brahma est le dieu suprême, Vischnou et Siva lui sont adjoints et forment avec lui la triade (trimourty). » (W. JONES et LOISELEUR-DESLONGCHAMPS sur Manou.)
Enfin, M. Textor de Ravisi lui-même va nous offrir une preuve de l’antiquité de cette triade. Expliquant le sens mystérieux de la syllabe AUM qui se trouve en tête des védas, il dit : « AUM n’est-il pas l’évocation de la trimourty, la prière par excellence : a, voulant dire Brahma ; u, Vichnou; et m, Siva. . .» (T. de Ravisi, réponse à M. E. BURNOUF.)
3. Sur l’incarnation.
« Brahma s’incarne au début même du monde, il produit d’abord Nara, l‘Esprit-Saint qui crée les eaux.
« Les eaux ont été appelées Naras, parce qu’elles étaient la production de Nara, l’Esprit divin »… (Livre Ier, sloca 10.)
« Puis de sa propre substance il produit son fils Viradj. Ayant divisé son corps en deux parties, le souverain Maître devint moitié mâle et moitié femelle, et en s’unissant à cette partie femelle il engendra Viradj... » (MANOU, livre Ier, sloca 32.)
« De ces incarnations sont nées les trois personnes de la trinité, Brahma, Vischnou, Siva, que les plus anciens monuments religieux de l’époque védique nomment aussi Brahma-Viradj-Nara.
Plus tard, c’est par Vischnou ou Viradj le fils, que Brahma le père s’incarne plus spécialement quand il veut correspondre avec les hommes ses créatures.
Le rédacteur apocryphe du Pentateuque attribué à Moïse ne s’est pas plus soustrait que les prêtres de Chaldée et ceux de Memphis à cette croyance, que l’Inde avait transmise à tous les peuples, de la double nature mâle et femelle de Brahma.
Voici en effet le passage de la Genèse biblique qui se rapporte à la création de l‘homme tel qu’il doit être traduit mot à mot.
« Au sixième jour, Élahim (en hébreu les dieux) fit les reptiles terrestres, les animaux quadrupèdes et sauvages… et il dit : Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance; et il créa l’homme à son image, et il le créa mâle et femelle, et il se reposa le septième jour, et il bénit ce septième jour…
Et il dit : croissez et multipliez... »
Le Dieu qui crée est ici mâle et femelle, puisqu’il crée ainsi l’homme à son image et le pourvoit en une seule personne d’une nature androgyne; ce n’est que beaucoup plus tard qu’il s’avise de séparer la partie femelle de la partie mâle et de faire la femme.
C’est cette croyance à la double nature qui fait que le poète de la Genèse appelle le créateur Élahim, c’est-à-dire les dieux.
De même la belle statue d’Hermaphrodite que l’art antique nous a léguée est une représentation symbolique, non d’une monstruosité de la nature comme beaucoup le croient, mais de la croyance primitive en dieu mâle et femelle, qui se trouve dans la tradition de tous les peuples inde-égyptiens et indo-européens.
4. Sur l’immortalité de l’âme.
« De tous les devoirs, le principal est d’acquérir la connaissance de l’Ame suprême; c’est la première de toutes les sciences, par elle on acquiert l’immortalité. » (MANOU, livre XII, sloca 85.)
« Ainsi l’homme qui reconnaît dans sa propre âme l’Ame suprême, présente dans toutes les créatures, se montre le même à l’égard de tous et obtient le sort le plus heureux, celui d’être enfin absorbé dans le sein de Brahma. » (MANOU, livre XII, sloca 125.)
« Oui, parmi ces six devoirs, l’étude du véda, dans le but de connaître le créateur suprême (Paramatma), est regardé comme le plus efficace pour procurer la félicité en ce monde et dans l’autre. » (MANOU, livre XII, sloca 26.)
« L’homme qui accomplit des actes pieux intéressés parvient au rang des dévas (saints), mais celui qui accomplit des oeuvres pieuses désintéressées se dépouille pour toujours des cinq éléments. »
« Voyant l’Ame suprême dans tous les êtres et tous les êtres dans l’Ame suprême, en offrant son âme en sacrifice, il s’identifie avec l’être qui brille de sa propre splendeur. » (Manou, livre Xll, slocas 90 et 91.)
Je n’insiste pas, on trouverait plus de cent textes dans Manou aussi clairs et aussi probants.
5. Sur la récompense et le châtiment dans le swarga ou le naraca.
« La dévotion et l’amour de l’âme divine sont pour les brahmes les meilleurs moyens de parvenir au bonheur suprême; par la dévotion il efface ses fautes, par la connaissance de dieu il se procure l’immortalité. » (MANOU, livre Xll, sloca 104.)
« L’homme qui a passé d’ordre en ordre (bramatchari, élève en théologie, grihasta, maître de maison, vànaprastha, anachorète), qui a fait par le feu les sacrifices requis, qui a toujours maîtrisé ses organes, s’est fatigué de donner des aumônes et de faire des offrandes, en se consacrant à la vie ascétique, obtient après sa mort la suprême félicité. » (Manou, livre VI, sloca 34.)
«  Mais le brahme qui, sans avoir étudié les livres saints, sans avoir engendré de fils et fait des sacrifices, désire la béatitude finale, va dans l’enfer. » (Manou, livre VI, sloca 37.)
« De même que les hommes austères, la femme vertueuse, qui, après la mort de son mari, se conserve parfaitement chaste, va droit au ciel, quoiqu’elle n’ait pas d’enfant pour accomplir les cérémonies funéraires sur sa tombe. » (Manou, livre V, sloca 160.)
« L’homme dont l’intelligence exerce une autorité souveraine sur ses paroles, son esprit et son corps… qui réprime le désir et la colère, obtient par ce moyen la béatitude finale. » (Manou, livre XII, slocas 10 et M.)
« Après la mort, les âmes des hommes qui ont commis de mauvaises actions prennent un autre corps, à la formation du quel concourent les cinq éléments subtils, et qui est destiné à être soumis aux tortures de l’enfer. » ) (MANOU, livre Xll, sloca 16.)
« Si l’âme pratique presque toujours la vertu, et rarement le vice, reprenant un corps tiré des cinq éléments, elle savoure les délices du paradis (swarga).» (MANOU, livre Xll, sloca 20.)
Accumuler les textes ne ferait qu’allonger le débat. L’ouvrage de Manou tout entier n’est qu’un code religieux enseignant les moyens de gagner le ciel et d’éviter l’enfer.
6° Sur la métempsycose.
La religion brahmanique n’a pas admis l’éternité des peines, ce dogme absurde qui répugne à la croyance des peuples civilisés, et que le catholicisme voudrait bien, s’il n’était condamné à l’immobilité, enlever aujourd’hui de sa mythologie. Suivant les védas et Manou, après un certain temps passé à se purifier dans les enfers, l’âme humaine revient accomplir une nouvelle série de migrations sur la terre avant de pouvoir s’élever jusqu’au séjour de Brahma.
J’ai donné, dans la première partie de cet ouvrage, la traduction du livre entier de Manou consacré à cette croyance.
Comme sacrifices, cérémonies et sacrements, le brahmanisme possède de toute antiquité le baptême dans les fleuves sacrés et par l’eau lustrale des pagodes, l’initiation ou confirmation, l’ordination des prêtres, l’onction des rois, le sacrifice du saryaméda, dans lequel Brahma lui même descend sur l’autel s’immoler pour la création. À l’issue de cet office, le prêtre brahme partage entre tous les assistants les galettes de riz et l’eau de safran parfumée (pantchamrita) qu’il a consacrées à Dieu sur l’autel.
Il n’est pas jusqu’à la confession qui ne soit d’origine brahmanique.
« Par un aveu fait devant tout le monde, par le repentir, par la dévotion, par la récitation des prières sacrées, un pécheur peut être déchargé de ses fautes... » (MANOU, livre XI, sloca 227.)
N’oublions pas que la confession était publique dans les premiers temps du christianisme.
Est-ce que la fameuse parole attribuée à Jésus, et sur la quelle les prêtres romains assoient la confession : Ce que vous lierez sur la terre sera lié aux cieux, etc., peut être comparée dans son sens mystique, au texte simple, clair, précis de Manou que nous venons de donner?
Les cénobites, anachorètes et dévots ascétiques, sannyassis, vânapiasthas et yatis, sont d’une telle antiquité dans la religion brahmanique que Manou leur consacre tout son sixième livre, sous ce titre : Devoirs de l’anachorète et du dévot ascétique.
Que dire de cet ensemble de croyances, dogmes, cérémonies, sacrifices, sacrements et coutumes, tous prouvés par des textes irréfutables du plus ancien et du plus authentique des législateurs, le divin Manou? où était Moïse, où était le Christ, où était Calmette, où étaient les bons jésuites à l’époque des védas et de Manou?
Est-ce la morale que, suivant vous, le brahmanisme aurait empruntée au christianisme? Sur ce point vous n’êtes pas plus heureux que sur les croyances primitives et les dogmes.
Ouvrez encore Manou, livre VI, sloca 992, et vous lirez:
« La résignation, l’action de rendre le bien pour le mal, la tempérance, la probité, la pureté, la répression des sens, la connaissance des sastras (sainte Écriture), celle de l’Ame suprême, la véracité et l’abstinence de colère, telles sont les dix vertus en quoi consistent le devoir. Les brahmes qui étudient ces dix préceptes du devoir, et après les avoir étudiés s’y conforment, parviennent à la condition suprême. »
Je le demande à tout lecteur impartial, qu’est-ce que le christianisme a ajouté, comme morale, à ces sublimes prescriptions ?
Cette maxime de rendre le bien pour le mal, qui paraissait être un des plus beaux fleurons de la couronne du christianisme, ne lui appartient même pas, en propre, Manou l’avait émise plusieurs milliers d’années avant lui…
Ainsi, dogmes, croyances, cérémonies, unité et trinité, incarnations et morale, tout appartient en propre au brahmanisme, et le christianisme, pour se soustraire au reproche de n’être qu’un copiste, n’a pas même cette ressource qui rentre dans ses cordes habituelles, de nier les védas et Manou.
L’authenticité des védas et de Manou ne se peut plus nier aujourd’hui.
A côté de cet état religieux et moral, pour compléter l’esquisse de cette vieille civilisation de l’Inde, il ne me paraît pas inutile de placer le tableau rapide des conquêtes philosophiques, scientifiques et littéraires des brahmes.

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Le Kailashanatha est un temple hindouiste dédié à Shiva, réputé pour être le plus beau temple de la ville de Kanchipuram, cité aux mille temples, située sur la rivière Palar à 72 km de Chennai (Madras).

En philosophie. Ils ont créé de toute pièce les deux systèmes du spiriritualisme et du matérialisme, de la philosophie métaphysique et de la philosophie positive.
Le premier enseigné dans l’école védanta, qui a pour fondateur Vyasa; Le second enseigné dans l’école sankya, qui a pour fondateur Kapila.
En science astronomique. Ils ont fixé le calendrier, inventé le zodiaque, fait les calculs de précession des équinoxes, découvert les lois générales des mouvements, observé et prédit les éclipses.
En mathématique. Ils ont inventé le système décimal, l’algèbre, les calculs différentiel, intégral et infinitésimal. Ils ont découvert également la géométrie et la trigonométrie, et, dans ces deux sciences, ils ont posé et résolu des théorèmes qui n’ont été découverts en Europe qu’au XVIIe et au XVIIIe siècle.
Ce sont les brahmes qui ont, en effet, déduit les premiers la mesure superficielle d’un triangle du calcul de ses trois côtés, et calculé les rapports de la circonférence au diamètre.
Il faut encore leur restituer le carré de l’hypoténuse et la table si improprement appelée de Pythagore, que l’on trouve gravés sur le gôparame de la plupart des grandes pagodes.
En physique. Ils posèrent ce principe, qui est encore le nôtre aujourd’hui : que l’univers est un tout harmonieux soumis à des lois que l’on peut fixer à l’aide de l‘observation et de l’expérimentation. Ils découvrirent l’hydrostalique, et la fameuse proposition que : tout corps plongé dans l’eau perd de son propre poids un poids égal au volume d’eau qu’il déplace, n’est qu’un emprunt fait aux brahmes par le fameux architecte grec Archimède.
Les physiciens des pagodes calculèrant la vitesse de la lumière, fixèrent d’une manière posiltive les lois qu’elle suit dans sa réflexion. Et enfin, sans l’avoir employée comme force motrice, il est hors de doute, par les calculs de Sourya Sidhenta, qu’ils connurent et calculèrent la force de la vapeur.
En chimie. Ils connaissaient la composition de l’eau et ont formulé sur les gaz la fameuse loi que nous ne connaissons que d’hier: les volumes des gaz sont en raison inverse des pressions qu’ils supportent.
Ils savaient préparer les acides sulfurique, nitrique, muriatique, les oxydes de cuivre, de fer, de plomb, d’étain, de zinc, les sulfures de fer, de cuivre, de mercure, d’antimoine et d’arsenic, les sulfates de zinc et de fer, les carbonates de fer, de plomb et de soude, le nitrate d’argent et la poudre. — Le père Calmette revendique-t-il ces inventions, et notamment la dernière ?
En médecine. Leur savoir était vraiment étonnant. Dans Tcharaka et Sousrouta, les deux princes de la médecine indoue, se trouve exposé tout le système qu’Hippocrale s’est approprié plus tard. Sousrouta, notamment, pose les principes de la médecine préventive ou hygiène, qu’il met bien au-dessus de la médecine curative, trop souvent empirique suivant lui.
Sommes-nous plus avancés aujourd’hui? Il n’est pas sans intérêt de remarquer que les médecins arabes qui jouiront au moyen âge d’une célébrité méritée, Averroès entre autres, parlent constamment des médecins indous, et les regardent comme les initiateurs des Grecs et les leurs.
En pharmacologie. Ils connaissaient tous les simples, leurs propriétés, leur emploi, et sur ce point n’ont pas cessé de donner des leçons à l’Europe. Tout récemment encore, nous avons reçu d’eux le traitement de l’asthme par le dathra.
En chirurgie. Ils ne sont pas moins remarquables. Ils faisaient la taille de la pierre, réussissaient admirablement l’opération de la cataracte et l’extraction du foetus, dont tous les cas singuliers ou dangereux sont décrits par Tharaka avec un extraordinaire esprit scientifique.
Comme grammairiens. Ils ont formé la langue la plus merveilleuse qui soit au monde, le samscrit, qui a donné naissance à la plupart des idiomes de l’Orient et des contrées indo-européennes.
Comme poètes. Ils ont traité tous les genres et sont passés maîtres dans tous. Sacountala, Avrita, la Phèdre indoue, Saranga et mille autres drames n’ont de supérieurs ni dans Sophocle et Euripide, ni dans Corneille ou Shakespeare. Leur poésie descriptive n’a jamais été égalée. Il faut lire dans le Megadala les plaintes d’un proscrit, qui charge un nuage qui passe de porter son souvenir à sa chaumière, à ses parents, à ses amis, qu’il ne doit plus revoir, pour se faire une idée de la splendeur à laquelle ce genre est arrivé dans l’lnde. Leurs fables ont été copiées par tous les peuples anciens et modernes, qui ne se sont même pas donné la peine de nuancer différemment le sujet de ces petits drames.
En musique. Ils ont inventé la gamme avec ses différences de tons et demi-tons, bien avant Gui d’Arezzo: voici la gamme indoue;
Sa—Ri—Ga—Ma—Pa—Da —- Ni— Sa.
En architecture. Ils semblent avoir épuisé tout ce que le génie de l’homme est capable de concevoir, dômes hardis, coupoles élancées, minarets avec de la dentelle de marbre, tours gothiques, plein cintre grec, style polychrome, tous les genres et toutes les époques se trouvent là, accusant l’origine et la date des différentes peuplades qui, en émigrant, ont emporté les souvenirs de l’art natal.
En sculpture. Ils conçurent le grandiose, les grands effets par les masses, mais ne peuvent rivaliser avec les splendeurs de l’art grec.
En peinture. Ils ne s’élevèrent pas au-dessus du métier.
Tels furent les résultats conquis par cette vieille et imposante civilisation brahmanique.
Il est temps de conclure, car, en face de ce passé grandiose, je me demande parfois s’il n’y a pas eu un peu de simplicité de ma part, dans le fait de prendre au sérieux les prétentions de cinq ou six Calmettes et autres jésuites, qui viennent nous débiter tout simplement cette escobarderie scientifique: l’Inde ancienne, mais c’est nous qui l’avons faite !… Le temps n’est plus où on imposait le mensonge religieux par le bûcher.
Le temps n’est plus où le saint office étouffait la vérité dans des flots de sang.
Toutes les foudres de Rome, toutes les subtilités de ses adeptes, n’empêcheront pas que la science poursuivant son chemin ne dise au christianisme : Tout ce que vous revendiquez, unité et trinité de l’Être suprême, immortalité, récompense et châtiment, ciel et enfer, cérémonies, culte, morale, tout cela existait avant vous, vous n’êtes qu’une simplification des panthéons anciens.
Vous n’êtes qu’une pâle copie du brahmanisme.

Extrait de Louis Jacolliot, Christna et le Christ, A. Lacroix, Verboeckhoven & Cie Éditeurs, Paris, 1874,  pp. 344- 387.

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Illustrations:

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