Sur le site du Sénat le rapport sur les dérives sectaires est ainsi présenté : « La commission d’enquête livre son constat et formule 41 propositions après 72 auditions au cours desquelles elle a entendu associations de victimes, professionnels de santé, experts et représentants d’autorités sanitaires ainsi que des principales administrations concernées. Elle a aussi souhaité entendre des représentants d’organismes et d’associations faisant la promotion de pratiques thérapeutiques sur lesquelles son attention a été alertée. »
Ce rapport qui a été adopté à l’unanimité [1] des présents le 2 avril puis remis au président du Sénat et enregistré le 3 avril 2013, a fait l’objet d’un débat au sein du Sénat le 11 juin dernier.
Ceux ou celles qui souhaitent connaître ce rapport en détails comme la composition de la commission, l’examen du rapport, les auditions, etc., peuvent aller le télécharger directement sur le site du Sénat. Pour notre part, faute de temps, nous ne faisons que le parcourir en en relevant les aspects les plus inquiétants : sa dérive dictatoriale. Au nom de l’ordre public, de l’ordre social, au nom des patients donc des citoyens, on formule des recommandations ou des propositions sans être allé au fond du problème, ni donner la parole aux citoyens, les premiers concernés. L’un des membres de la commission va jusqu’à se soustraire de la responsabilité en disant : « A ce stade, le rapport ne fait qu’une suggestion, il ne décide de rien. [2] ». Cette réflexion hallucinante de la part d’un élu ressemble à une scène de lapidation où l’un des participants se cache après y avoir participé. Imaginons la portée des propositions énumérées dans ce rapport si elles sont appliquées !
Ce rapport est un réquisitoire en règle ! On a déjà en tête des suspects, des pratiques suspectes, on cherche à confirmer les idées reçues en faisant peur avec des histoires abracadabrantes.
D’abord sur la méthode : la médecine conventionnelle est présentée comme victime dans un « combat à armes inégales : les promesses de la magie contre la rigueur de la pensée rationnelle » [3]. Cette vision réductrice, partielle et partiale, teintée de mauvaise foi rappelle aussi des procès politiques dans les régimes totalitaires, ou l’Inquisition qui, sans aucun remords, et au nom d’un dogme, a jeté au brasier par centaines de milliers des êtres humains accusés de sorcellerie. C’est encore et toujours les tenants du pouvoir qui accusent, avant de punir et détruire des destins et des vies d’une petite minorité dérangeante, au nom de l’ordre public, et en l’occurrence pas au nom d’un ordre professionnel quelconque. Ici comme dans des thrillers, il suffit de se poser la question : « À qui profite le crime » pour avoir une idée sur le commanditaire.
Cette commission cherche à faire peur avec des cas sensationnels même si elle peine à trouver des victimes de sectes ou de thérapies alternatives, ou même des personnes en danger. C’est dans ce but de faire peur qu’elle ressasse le cas de l’Ordre du Temple Solaire qui d’après la version officielle a provoqué des suicides collectifs de ses membres en 1995, alors que les tenants et aboutissants de cette affaire demandent à être mis en lumière. En 2005, l’avocat Jean-Pierre Joseph a bien sonné l’alarme dans une interview en disant que cette affaire est très suspecte car elle impliquait le monde de la finance, la politique, l’immobilier, le blanchiment d’argent sale pour ne pas dire la mafia. Tout a été orchestré dans le moindre détail à tel point qu’on « découvrit » que les « suicidés » ont tous été criblés de balles dans le dos puis grillés au lance-flamme ! Tout récemment, il y un mois le psychosociologue et psychothérapeute, Christian Cotten, président-fondateur de Politique de Vie revient sur cette affaire trouble dans son communiqué de presse en s’adressant à l’ancien secrétaire général de l’Élysée et ancien ministre de l’intérieur du quinquennat précédent, Claude Guéant. Il n’est pas du tout établi que les crimes qui sont attribués à l’Ordre du temple solaire soient commis par cette secte [4].
Les sectes, combien de bataillons ?
Le cas du « présumé gourou » Robert Le Dinh est bien sûr du pain béni. Rappelons brièvement que Le Dinh a été arrêté pour motif de dérive sectaire sur dénonciation d’un couple de disciples. De la garde à vue à la détention, le « gourou » fut accusé à la Cour d’assises de l’Ariège de « viol », « agressions sexuelles, y compris sur des mineures », d’ »hypnose mentale » (NouvelObs), de « manipulation et d’emprise mentale » (La Dépêche). Une des principales plaignantes, Isabelle Lorenzato, dit avoir été violée pendant 22 ans par Robert Le Dinh, c’est-à -dire depuis son arrivée dans le « groupe » à 19 ans avec son mari ! Et c’est la parole de l’une contre celle de l’autre. Mais dans un climat antisecte, l’UNADFI soutenue par la Miviludes, s’est constituée partie civile, où « l’émotionnel l’emporte sur la Justice de la preuve », on condamne « le gourou » bien entendu. Mais très curieusement (ou hypocritement?) on a entendu l’avocate générale souligner « qu’elle ne venait pas requérir « contre une secte », une « philosophie » ou « une croyance » dans le respect des « deux principes fondateurs de la liberté de conscience et de la liberté religieuse » mais contre « un homme » [5] ».
Le « gourou total » Robert Le Dinh s’est trouvé finalement avec une condamnation de 10 ans par la Cour d’assises de la Haute-Garonne pour « agressions sexuelles aggravées ». D’après les avocats de Robert Le Dinh « La secte est aujourd’hui abandonnée, elle n’existe pas. Il n’y a plus rien de l’idée de secte, tant sur la manipulation mentale pour obtenir des faveurs sexuelles que sur la même manipulation mentale pour obtenir de l’argent ». Soulignons simplement que Le Dinh a été arrêté avec chef d’inculpation de dérive sectaire, à la fin du procès, il n’y a plus de dérives sectaires, plus question de sectes, en toute logique, le présumé coupable aurait dû être relâché ! Mais non. Au cours de sa détention, les choses ont évolué ! Allez comprendre les arcanes de la Justice !
La commission a aussi rapporté le cas de Mme B. reconnue victime, sous l’emprise pendant douze ans d’un psychopathe, un petit malin qui vit aux dépens des autres. Elle est finalement sauvée par son frère venu l’aider. Mais avant d’en arriver là , la famille de Mme B. a alerté le procureur de la République qui n’a pas donné suite car Mme B. est majeure donc consentante [6] ; une plainte a même été déposée par la famille, classée sans suite là aussi ! Pourquoi la Justice n’est-elle pas intervenue à temps pour sauver une personne en danger vivant dans une «petite épicerie de la manipulation mentale», alors qu’elle a été par deux fois alertée ? Bien sûr que la Justice est infaillible ! « Le gourou a été condamné à quatre ans de détention » sur la base du dossier rassemblé par l’avocat de la victime, dans lequel la violence physique et sexuelle était mise sur le tapis. De l’autre côté « le gourou total » Le Dinh a été condamné à 10 ans sur simple dénonciation d’une personne comme on vient de le voir. La Justice a décidément des logiques que le profane a du mal à suivre car ça lui donne des maux de tête.
Un autre cas fut rapporté par la commission : l’affaire des reclus de Monflanquin qui s’est avérée une affaire d’escroquerie dont l’instigateur, Thierry Tilly, nommé aussi « gourou » fut condamné à 10 ans de prison ferme dont 5 ans de privations des droits civiques et civils pour avoir dépouillé une famille aristocratique du sud-ouest [7].
Voilà l’état des lieux brossé par la commission sénatoriale.
Le président de la Miviludes, M. Serge Blisko estime à 400 le nombre de « pratiques étranges » dont la liste complète serait très impressionnante. Voici un extrait de cette liste :
Acupuncture, Aromathérapie, Bioénergie, Biomagnétisme, Biorésonance, Diététique chinoise, Digitopuncture, Feng Shui, Géobiologie, Guérisseur, Homéopathie, Hydrothérapie, Hypnose, Kinésiologie, Kinésithérapie, Magnétisme, Manupuncture coréenne, Médecine ayurvédique, Médecine traditionnelle chinoise, Musicothérapie, Naturopathie, Ostéopathie, Phytothérapie, Psychothérapie, Qi Cong, Radiesthésie, Reiki, Relaxation, Sage-femme libérale, Shiatsu, Yoga, etc. Le nombre de pratiquants de toutes ces thérapies s’élèverait à 15.000 [8].
Comme méthode, on commence par ameuter tout le monde dont le pouvoir public et des collectivités en disant qu’il y a un « danger » [9], et pour faire peur on montre du doigt l’exemple le plus terrifiant (mais qui reste à être élucidé) et quelques suspects condamnés ou non, puis on donne la liste des thérapies suspectes, l’amalgame et la « magie manipulatrice » fait le reste : ces thérapies représentent un danger pour la santé publique !
Si la Commission sénatoriale observe qu’il règne une confusion dans les rangs des contestataires de la médecine conventionnelle du fait de l’utilisation des termes tels que : »médecine traditionnelle », « médecine alternative », « médecine douce », « médecine parallèle », etc., elle ne s’est pas donné la peine d’appliquer cette rigueur à elle même, car la médecine conventionnelle est nommée tantôt « médecine traditionnelle », tantôt « médecine classique », tantôt « médecine traditionnelle occidentale ». En parlant des médecines douces, alternatives ou traditionnelles quand elles sont d’origine étrangères (comme l’acupuncture qui est une branche de médecine traditionnelle chinoise, ou la médecine ayurvédique), la Commission déclare : « La terminologie « médecine traditionnelle » est d’autant plus inadaptée que la notion de médecin suppose de s’appuyer sur la recherche, l’innovation et le progrès scientifique qui ne sont pas nécessairement du ressort de ces traditions. » On part de « la médecine traditionnelle » on dérive vers la notion de « médecin » , et d’autre part on suppose qu’une tradition ne peut qu’être figée dans le temps comme une momie. Les anthropologues apprécieront cette affirmation gratuite et spontanée ! Si la commission est logique avec elle-même, elle doit abandonner l’appellation « médecine traditionnelle » de la médecine conventionnelle.
Cette médecine toute puissante se réclame de la science, soit. « Mais ces contestations sont paradoxales car la médecine, dans la mesure où elle est une science, se construit justement sur la remise en cause de ses présupposés et s’ouvre depuis toujours aux critiques qui lui sont adressées » [10]. La médecine conventionnelle est ouverte aux critiques dit-on, il suffit de voir le nombre de médecins menacés ou rayés par le Conseil de l’Ordre et interdits d’exercer leurs professions, comme le suggère encore le Rapport, pour apprécier cette ouverture aux critiques. C’est à l’instigation de cette médecine conventionnelle qu’on continue à faire disparaître à coups de réglementations ou de mesures administratives, des pratiques et des savoirs traditionnels légués par des générations anciennes qu’on appelle par commodité la « médecine traditionnelle » et qui relève des connaissances empiriques, comme en matière de plantes médicinales par exemple. Mais ceci n’est nullement une hypocrisie, c’est simplement du double langage ! À ce qu’on sache, le double langage n’est pas un délit ni un crime, c’est simplement une virtuosité d’un esprit … malsain.
Le langage de la guerre
Question langage, celui utilisé dans ce rapport relève de l’art… de faire la guerre : « propagande », « tentative de déstabilisation », « cyberpatrouille », « attaques », « menaces », « réprimer avec une sévérité particulière », « que les pouvoirs publics réagissent énergiquement », « combat à armes inégales », etc. Il s’agit bien de mener la guerre contre les insoumis qui refusent le monopole d’une corporation ayant pignon sur rue, autrement dit les premiers concernés et lucides se dressent contre une volonté dictatoriale : « Si vous ne faites pas comme nous vous êtes contre nous ! » À ce qu’on sache, on n’a encore entendu ou vu aucun représentant, ou adepte, etc. d’une thérapie quelconque menacer des médecins conventionnés en leur dictant de quitter la médecine conventionnelle pour le rejoindre ! Ce qui se passe c’est plutôt l’inverse : le Conseil de l’Ordre des médecins menace ses confrères de les rayer de l’Ordre s’ils n’abandonnent pas leurs méthodes non reconnues, le pouvoir public stigmatise et intimide les pratiquants de thérapies alternatives en les faisant passer pour des sectes, et on sait ce qui pourra arriver au tribunal avec de telles accusations ! Cette volonté hégémonique sonne mal avec la liberté pour les citoyens de choisir la thérapie qui leur convient, pour les thérapeutes alternatifs d’exercer leur profession tout simplement, elle appauvrit les connaissances humaines pour les réduire à une seule pratique. Si les résultats des thérapies alternatives, douces, parallèles, etc. sont scrutés à la loupe, (malheur à celui qui échoue à guérir un malade) est-ce qu’on en exige avec autant de zèle des médecins conventionnés ? Ces derniers ne sont nullement sanctionnés pour leurs résultats soient-ils catastrophiques. D’un côté si le malade décède, c’est la faute de ses maladies, de l’autre c’est la faute du thérapeute ! Que fait-on des erreurs médicales ? Mais il n’y a aucun parti pris ! On est guidé par l’objectivité, par la science ! Et blablabla, blablabla !
Comme il n’existe pas de définition de la secte en droit français, la commission sénatoriale adopte une terminologie plus floue de « dérive sectaire » dont les contours dépendent de celui qui l’utilise. C’est bien pratique, comme la guerre préventive. On se retrouve donc devant une situation qui, selon le Rapport, met en danger des individus, mais reste insaisissable car mal définie. Pour y remédier on a recours à des « faisceaux d’indices », des « effets produits » sur des victimes, ou des « critères », qui appliqués à d’autres domaines, feront tomber ces derniers automatiquement dans la « dérive sectaire ». Parmi « les neuf critères d’emprise mentale exposés par M. le Professeur Parquet » [11], on trouve par exemple : « adhésion et allégeance inconditionnelle, affective, comportementale, intellectuelle, morale et sociale à une personne, un groupe ou une institution ». Si la Commission devait appliquer ce critère à un militaire de l’armée, un militant zélé d’un parti politique ou un croyant de l’Église, elle obtiendrait obligatoirement le résultat attendu : celui qui relève des mouvements sectaires. L’armée, le parti politique en question et l’Église seraient passibles de dérives sectaires ! Prenons un autre critère : « impossibilité de se remettre en cause et de promouvoir un changement ». Dans l’état actuel des choses est-ce qu’on peut vraiment dire que le Conseil de l’Ordre des médecins, la Commission elle-même, la Miviludes sont capables de se remettre en cause ? Sinon, ils sont susceptibles eux-aussi d’être accusés de « dérive sectaire »…Voilà les accusateurs qui se retrouvent accusés par leurs propres accusations ! On peut objecter que ces critères ne sont pas ceux de la Commission mais d’une personne, le Professeur Parquet, ceci dit, la Commission les a fait siens en les intégrant dans son rapport.
Passons maintenant au « faisceau d’indices » (de dérive sectaire) que la Commission a découvert sans l’aide de personne cette fois. Nous trouvons par exemple :
- « les atteintes à l’intégrité physique (on se demande vraiment si les sectes ou les thérapies stigmatisées ne charcutent pas leurs adeptes, les victimes, ceux qui les font vivre, soulignés par nous…) ;
- le discours plus ou moins antisocial ;
- les troubles à l’ordre public ;
- l’éventuel détournement des circuits économiques traditionnels ;
- les tentatives d’infiltration des pouvoirs publics. »
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